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dans cette orientale en action. Le prince fit connaissance avec Méhémet-Ali, qu’il appelle un Napoléon africain, et composa de ces diverses impressions de voyage plusieurs volumes tout remplis de son amusante personnalité; mais comme l’Orient n’avait, en fait de femmes, que la vieille lady Esther Stanhope à lui offrir pour exercer sa verve et ses bons mots, il se vit bientôt privé d’une des ressources les plus piquantes de son esprit, et revint en Europe, rapportant de son expédition une nouvelle recette pour faire cuire le riz. Il ramenait en outre, dit-on, une magnifique esclave éthiopienne, qui, après avoir langui tristement, finit par succomber aux rigueurs du climat de Berlin. Dès lors, ne sachant trop à quelle marotte se vouer, et ne pouvant, comme pis-aller, recourir à l’administration de ses états, car il avait vendu sa principauté de Muskau en s’en réservant seulement le titre, l’illustre pèlerin se mit à promener ses ennuis de ville en ville. On le vit à Berlin, à Hanovre, à Paris, tantôt ici, tantôt là-bas. A Berlin, lui et M. de Varnhagen se fréquentaient beaucoup. En qualité d’ancien habitué du salon de la femme, le prince Pückler était resté l’ami fidèle du mari, et Dieu sait ce qui se débitait de traits et de malice dans ces curieux tête-à-tête, où l’archiprêtre du Chimboraço, M. de Humboldt, revenant de Charlottenbourg, apportait par occasion son appoint de candeur et de bienveillance. Le prince n’allait jamais à la cour, et cela s’explique: le roi Frédéric-Guillaume IV, qui avait plus d’esprit que personne, aimait assez à jouer chez lui le premier violon; or le prince, qui de son côté n’aimait pas à accompagner, se refusait à se mêler au jeu pour y tenir la seconde partie. Aussi jamais ne paraissait-il aux concerts.

Chez la princesse de Prusse, au contraire, il se montrait un hôte fort zélé, car là on allait au-devant de ses goûts. Tout le monde a entendu parler de l’art véritablement singulier que possédait le prince Pückler dans l’art de dessiner et de disposer les jardins. Sans avoir de système ni de connaissances techniques bien spéciales, il a tracé des parcs qui sont les merveilles du genre. À ce métier, ses souvenirs de voyage l’aidaient beaucoup. Il mariait l’Italie à la Hollande, l’Angleterre à la France, le style architectural et pompeux du classique Lenôtre, qui mettait la nature en habits de cour, aux agrémens pittoresques d’Addison et de Pope, au romantisme de Rousseau. Son instinct, son sentiment paraissaient seuls le guider : il y avait du peintre, de l’architecte, du poète, je dirai presque du philosophe dans sa manière d’envisager son art! C’était, du reste, l’éclectisme par excellence, une inspiration qui ne tarissait pas en motifs. Il est vrai qu’il en coûtait cher parfois de trop s’abandonner à ses fantaisies, car pour une idée, pour un caprice, il changeait le lit