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que le connestable faisoit par coutume. » A force de prendre ainsi des villes et d’en expulser les défenseurs, le connétable les avait laissés former dans Cherbourg, où ils se retiraient, une garnison d’élite : elle y fut ralliée par Robert le Roux avec une forte division anglaise, et la mer étant libre, la place était continuellement ravitaillée d’hommes et de munitions. « Les François l’assiégèrent de tous côtés, fors par mer, et s’amesnagèrent et pourvurent pour y demourer sans en partir fors qu’ils l’eussent prins. Messire Robert le Roux et sa route faisoient maintes saillies de jour et de nuit, et n’y requirent oncques les François à faire faict d’armes qu’ils ne trouvassent bien à qui. Le siège dura tout l’esté; demourèrent les François devant Cherbourg jusques bien avant dans l’hyver, à grant mise, à petit conquest. Si advisèrent qu’ils gastoyent leur temps, et que Cherbourg estoit imprenable, et que tout rafreschissement, tant de vivres que de gens d’armes, y venoit par mer. Par quoi les François se deslogèrent et mirent bonnes garnisons à l’encontre de Cherbourg[1]. »

Telle fut l’issue de l’entreprise de Du Guesclin. La couronne ne recouvra Cherbourg qu’en 1396 par la trêve de vingt-huit ans conclue avec Richard II, et cette cession d’une entrée des Anglais en France fut, trois ans plus tard, une des causes principales de la déposition de ce prince. Puis vint la démence de Charles VI. Henri V descendit en Normandie en 1418, et fit assiéger Cherbourg par son frère, le duc de Glocester : la place, vaillamment défendue, résistait depuis dix mois, « en la fin duquel temps la rendit messire Jean d’Engenne, qui en estoit le capitaine, moyennant qu’il en eust certaine somme d’argent au partir et bon sauf-conduit pour aller où bon lui sembleroit : il alla en la cité de Rouen quand elle fut conquise par lesdits Anglois, et là séjourna, tant que son dit sauf-conduit fut passé, sur la fiance d’aucuns seigneurs anglais qui lui donnèrent à entendre qu’ils le lui feroient rallonger; mais au derrain il en fut trompé, et lui fist le roy d’Angleterre trancher la teste, dont aucuns François furent assez joyeulx pour ce qu’il avoit rendu la place susdicte par convoitise d’argent au préjudice du roy de France[2]. » Cherbourg, conquis de cette manière, devait être la dernière place qu’évacueraient les Anglais, lorsqu’ils furent définitivement expulsés de France après la bataille de Formigny. Le connétable de Richemont vint l’investir au mois de juillet 1450. « Les François qui devant estoient y eurent beaucoup de peine et de travail, car ils y firent plusieurs grans approuchemens, et firent battre ladite ville de canons et bombardes et de plusieurs aultres engins merveilleusement et le plus subtilement que oncques homme vit; car ils assi-

  1. Chronique de Froissart.
  2. Chronique d’Enguerran de Monstrelet.