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rent bombardes en la mer là où elle venoit deux fois le jour, qui grevèrent fort la place et tellement que les Anglois qui estoient dedans ne savoient que faire de eulx rendre, voyant qu’ils ne povoient plus tenir ne résister….. Il y eut durant le siège maintes belles armes faites, et tant que Thomas Gouel rendit lesdites villes et chastel de Chierebourg, dont il estoit capitaine pour le roy d’Angleterre, le 12 août, qui est la plus forte place de Normandie sans nulle excepter….. Ainsi fut conquise la duchié de Normandie et toutes les cités, villes et chasteaux d’icelle mis en l’obéissance du roy[1]. » La France était délivrée, et le roi, qui apprit à Tours ce grand événement, ordonna dans tout le royaume des prières et des actions de grâces qui n’ont jamais cessé d’être répétées le 12 août dans la cathédrale de Coutances.

La constance éprouvée dans ces luttes séculaires et les sacrifices qu’imposait à la ville de Cherbourg le soin de sa défense contre les Anglais lui valurent en 1464, en 1483, en 1498, en 1532, de nombreuses franchises de la part des rois Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ces titres sont bons à rappeler, et la population de Cherbourg serait bien dégénérée, si jamais elle se laissait arracher le dépôt de gloire que lui a légué le passé.

On aurait pu croire qu’après cent ans et plus de renonciation à leur prétention d’être des Normands, les Anglais se tiendraient tranquilles : ils saisirent les occasions que leur offraient les guerres de religion pour revenir dans le Cotentin. Ils s’allièrent aux huguenots et descendirent en 1562 et en 1572 sur la plage de La Hougue sous la conduite de Montgomery : ils ravagèrent les campagnes, mais vinrent deux fois échouer devant la résolution des habitans de Cherbourg et les dispositions de l’intrépide et sage maréchal de Matignon. Ces événemens furent suivis d’un assez long repos. Malgré l’insouciance de l’avenir que produit d’habitude parmi nous la sécurité du présent, on avait songé en 1647 à créer un grand refuge maritime à Cherbourg ; mais la dépense avait paru si disproportionnée avec les ressources disponibles que tout avait été ajourné. Colbert mourut en 1683 après avoir mis le pays en possession d’une flotte de cent quatre-vingt-dix-huit vaisseaux de ligne, et les dangers auxquels l’insuffisance des ports de la Manche laissait ce matériel exposé rappelèrent l’attention sur les anciens projets d’y créer un abri. Vauban fut chargé de les étudier de nouveau. Il vint en 1686 à Cherbourg, et trouva le pays dans un état qui expliquait trop bien les avantages si longtemps remportés par les Anglais sur cette côte. On voit aujourd’hui même, au relief et à la nature des terrains, que la partie montueuse de la presqu’île n’a tenu jadis au

  1. Alain Chartier, Histoire de Charles VII.