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LES
CONTREBANDIERS DU NOIRMONT
SCÈNES JURASSIENNES.


I.

Le curé de Gilois se promenait dans son jardin. Sa vue errait tantôt sur le ravin sauvage au fond duquel coule l’Ain en mugissant, et, par-delà ce ravin, sur la magnifique forêt de la Joux, tantôt sur le plateau houleux et tourmenté que ferme du côté de la Suisse la sombre muraille des monts Jura. On était au commencement d’avril ; le soleil versait ces doux et chauds rayons printaniers qui vous pénètrent jusqu’à la moelle. Le bon curé venait d’achever son bréviaire et sa digestion. Sa santé était excellente, comme cela se lisait sur son visage sec et déjà un peu ridé, mais offrant tous les signes de la solidité montagnarde. Enfin, depuis trente ans environ qu’elle était au presbytère, jamais la vieille Tiennette, sa gouvernante, n’avait été d’aussi agréable humeur envers son maître que ce jour-là. Et cependant, malgré tant de causes de satisfaction morale et physique, le digne abbé Nicod semblait absorbé par de fâcheuses réflexions. Peut-être pensait-il à certain neveu qu’il avait par le monde, garçon de vingt-deux ans qui, après avoir donné, comme on dit, les plus belles espérances, avait ensuite cruellement affligé par son inconduite le cœur honnête de son oncle. Peut-être aussi sa préoccupation n’avait-elle qu’une cause bien moins grave, par exemple l’état où se trouvait le mur de terrasse de son jardin. Ce mur était troué d’une brèche, brèche ancienne déjà, puisque des décombres s’élançaient trois ou quatre vigoureuses touffes de