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fortifications nécessaires pour les protéger. Cette division d’attributions dans l’édification d’une œuvre d’ensemble créait une classe de questions mixtes, en tête desquelles se plaçait la détermination des bases mêmes de l’établissement. On ne pouvait guère se flatter d’un accord complet sur des projets que des autorités différentes considéraient sous des points de vue souvent opposés : la marine réclamait, sans beaucoup de préoccupation de la défense par terre, toute l’extension possible du mouillage à couvrir, et le génie, pour mieux défendre la rade, l’aurait quelquefois réduite à ne pas valoir la peine d’être défendue. Peut-être eût-il été sage de laisser à l’intérêt maritime une prédominance absolue, et de compter quand même sur l’intelligence des ingénieurs militaires pour l’assiette ultérieure de la défense. — Il n’en fut pas ainsi, et l’on vit d’abord se dessiner deux partis dont les plus habiles organes furent le commandant de la place et celui de la marine, Dumouriez et M. de La Bretonnière. Tous deux avaient affaire à forte partie.

L’adoption en principe du système de digue isolée couvrant la grande rade ne résolvait pas une question tellement sujette à controverse que le fait accompli de la construction ne l’a point épuisée, celle de l’emplacement de la digue; elle ne faisait que la poser, et un homme de la trempe de Dumouriez ne renonce pas au combat tant que l’arène reste ouverte. Il s’accrochait, pour renverser le projet de M. de La Bretonnière à chaque difficulté qui venait l’ébranler, et y opposait obstinément le second projet de Vauban, celui du port militaire qui s’est creusé de nos jours en arrière du rivage, et d’un chenal formé par deux jetées auxquelles le calme produit par la grande digue a permis de renoncer. L’utilité du port n’était pas très difficile à prouver, et Dumouriez soutenait que, tout ouverte qu’elle était aux vents du nord, la rade était excellente : ce point admis, un établissement complet pouvait être obtenu à peu de frais. Les marins ne partageaient pas sa confiance; ils trouvaient la grande rade intenable à cause de la violence des coups de mer auxquels elle était exposée, ce que n’ont que trop bien prouvé les désastres survenus pendant la construction de la digue. Quant à la petite, elle paraissait inaccessible aux vaisseaux faute de profondeur. Ils ne repoussaient pas le projet de port; mais ils regardaient la rade comme infiniment plus nécessaire. Ce que réclamait avant tout la navigation, c’était un refuge ouvert à toute marée contre les gros temps, si fréquens dans la Manche, et contre des ennemis aussi favorisés par la nature de leurs atterrages que les Anglais. La rade ferait dans la plupart des cas l’office du port, le port ne ferait jamais celui de la rade; la rade enfin serait la meilleure de toutes les défenses pour la ville et pour le port, et les travaux de l’une et de l’autre s’accompliraient en sécurité sous sa protection. L’impression des