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feras dans l’infini d’une âme qui t’appartient, qui est ton bien toujours, plus d’une heureuse découverte. Recueille-les, ces forces, ces pensées qui furent moi ; reprises dans ton cœur, couvées de ta tendresse, elles te seront une fécondation nouvelle, venue du monde des esprits.

« Je souffre de te voir souffrir; mais avec cela il ne faut pas que tu guérisses. Une telle assimilation posthume se fait par la douleur, par la blessure saignante. Cette blessure boira mon âme, et la fusion se faisant, tu ne pourras plus rester là-bas; une invincible attraction, te prenant un matin là où ton cœur n’est plus, te portera comme une flèche là où il est, là où je suis. Cela n’est pas plus difficile qu’au ressort durement comprimé d’un poids; le poids ôté, il vibre, se redresse et revient à sa nature. Or je suis ta nature et ta vie naturelle ; l’obstacle ôté, tu me reviens.

« L’obstacle, c’est la différence qui subsiste encore entre nous. Oh ! je t’en prie, deviens-moi-même!... tu seras à moi tout à fait.

« La douleur est ton existence d’aujourd’hui : je te veux une douleur active. Ne reste pas assise à ce marbre froid d’un sépulcre. Porte un grand deuil, vraiment digne de moi, avec de nobles larmes qui servent à tous et grandissent les cœurs. »


M. Michelet connaîtrait-il par hasard une certaine poésie lyrique du poète anglais Robert Browning, intitulée: Any wffe to any husband? C’est la même intonation passionnée, la même fougue sentimentale, le même appel désespéré aux forces profondes de l’âme.

Beaucoup d’aimables et plaisans esprits riront sans doute de la tentative de M. Michelet pour supprimer la vieille femme; pas moi. Que la vieille femme soit faite pour inspirer le respect, tout le monde l’accordera, même les gens, assez nombreux de notre temps, qui n’ont de respect pour rien, ni pour personne; mais est-elle capable d’inspirer un sentiment plus vif et plus tendre? Cette question a l’air d’être très scabreuse et très délicate. Au fond, elle est très simple et très morale. Sans doute elles ne sont pas capables d’inspirer le sentiment aveugle qu’on appelle amour, mais elles sont souvent très capables d’inspirer un sentiment qui n’a pas été analysé encore, qui est plus que de l’amitié, plus aussi que du respect, et que, faute d’un autre mot, j’appellerai du nom de respect attendri. Elles ont leur beauté propre, qui est le reflet de l’âme, et ce que M. Michelet a fort bien nommé le charme de la bonté. Elles ont aussi un mérite admirable, c’est la sincérité forcée du caractère. Pendant la jeunesse et même assez avant dans la vie, qui peut distinguer si une femme est bonne ou mauvaise, et même, sauf ceux qui partagent son intimité, qui se soucie de le savoir? La sorcellerie de la beauté, troublant les sens, enlève à l’esprit du contemplateur toute curiosité morale et obscurcit son jugement. C’est l’immoralité propre à la beauté, qu’elle se suffit à elle-même, qu’elle peut se passer de vertu et d’élévation; mais ce triomphe de la chair