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pendant l’occupation française. Lui-même, conduit à Paris en 1800, à l’âge de deux ans, y avait été élevé dans les écoles publiques. Un ministre protestant avait été plus tard son instituteur à Genève. Napoléon l’avait nommé lieutenant au 8e régiment de dragons. À l’époque de la restauration, c’était un jeune homme de haute taille, mélancolique et réservé ; sa froideur naturelle se faisait caressante dans l’intimité, jamais familière. Sa physionomie était sévère, quelquefois sombre ; son maintien était digne, presque hautain, peut-être à cause d’une timidité qu’il ne surmontait pas toujours. Il avait grandi sans savoir si le sort lui réservait l’épaulette d’un officier de fortune ou la couronne d’un royaume italien ; son caractère, naturellement indécis, en avait gardé quelque chose d’ombrageux qui à certains momens lui inspirait des résolutions inexplicables. D’involontaires contradictions furent une fatalité de sa vie entière, longue suite de situations douteuses et ambiguës. Au fond, il était ennemi de l’Autriche par instinct, et ne trouvait guère de motifs de réconciliation dans les menées du cabinet de Vienne, qui destinait à l’un de ses archiducs l’héritage de Charles-Félix. Autour de lui se groupèrent donc les soldats, les avocats et les apôtres de cette sainte indépendance, dont les traités de 1815, par une violente anti-phrase, venaient d’enraciner le principe dans tous les esprits.

Vers 1820, les symptômes d’une crise prochaine étaient sensibles aux moins clairvoyans. Charles-Albert, que Monti venait d’appeler le rédempteur de l’Italie, put s’attendre à prendre bientôt une lourde part aux événemens. Ce fut alors que, visitant les fortifications de Gênes, il rencontra un major de trente ans dont le père, Prosper Balbo, récemment nommé ministre de l’intérieur, s’efforçait de réformer les vices du gouvernement et d’en conjurer la ruine imminente. César Balbo, qui depuis longtemps méditait l’histoire et la philosophie, et qui devait être plus tard le meilleur interprète et l’écrivain préféré du Piémont de son temps, eut avec le jeune prince de longs entretiens, à la suite desquels leurs destinées se mêlèrent en quelque sorte. Dès lors, ce que le penseur demanda fut tenté par le prétendant, le roi, le soldat ; cette épée et cette plume se mirent au service d’un grand projet, l’installation de la monarchie représentative en Italie. Ce sont deux figures que l’histoire réunira, la parole de l’une expliquant les actes mystérieux et souvent incompréhensibles de l’autre.

La famille Balbo, dont l’origine remonte aux patriciens de la petite république de Chieri, près de Turin, a dans le moyen âge deux titres de notoriété particulière. Selon une tradition légendaire, cinquante Balbo, nouveaux Fabius, se seraient fait tuer sur le champ de victoire de Legnano pour l’indépendance de leur pays et pour la vengeance de leur ville, incendiée par Frédéric-Barberousse. Ce