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et ce dernier représentant d’une politique surannée acheva, malgré lui-même, de poser clairement le problème national. La branche expirante, confinée dans l’absolutisme, impuissante à s’allier avec des forces neuves qui se montraient impérieuses comme la destinée, s’offrait d’elle-même, par un sentiment d’impuissance complète, à l’englobement autrichien. Charles-Félix, à bout de soutiens moraux, mettait ouvertement son ultima ratio dans les cinq cent mille soldats de l’empereur : c’était purement et simplement faire acte de vassalité. Une phrase, qui est devenue banale sans cesser d’être une simple et vaine phrase : La liberté ou la mort, était pour les états sardes non pas l’expression d’un vœu, mais la formule rigoureuse d’une alternative à laquelle il n’y avait plus moyen d’échapper. L’édifice manquait d’une cohésion que des renouvellemens intérieurs eussent pu lui rendre. Le prince, par cela même qu’il aimait mieux étayer que réparer, se chargeait de démontrer le vice de son système. L’appui précaire des baïonnettes autrichiennes assurait un sursis à un écroulement probable ; mais les sursis, en retardant l’exécution n’indiquent pas moins que la condamnation est prononcée. Le peuple avait laissé le roi aller jusqu’au bout dans le développement de sa théorie insensée, et, comme il arrive toujours quand la donnée est fausse, le résultat n’avait été qu’une réduction à l’absurde. La logique impitoyable des événemens établissait que l’asservissement du peuple au roi entraînait celui du roi à l’Autriche, et que le roi, pour continuer à supprimer la nation, était forcé de se supprimer lui-même, en un mot, — immense conquête de l’expérience ! — que le sort du souverain est solidaire de celui du peuple.

Ces vérités devinrent évidentes aux derniers jours du vieux roi. La reine Marie-Thérèse d’Autriche, veuve de Victor-Emmanuel Ier, aidée par le cabinet de Vienne, porta au tribunal de la sainte-alliance la question de l’existence du Piémont, sauvé jadis des intrigues de 1814 par l’honnêteté d’Alexandre Ier. Elle proposa le couronnement, dans la cathédrale de Turin, de son gendre François IV, duc de Modène, ou de son petit-fils, le jeune archiduc François V. Une demande d’abolition de la loi salique en Piémont fut même proposée au congrès de Laybach par l’empereur d’Autriche, sans qu’on se fût inquiété le moins du monde de consulter là-dessus Charles-Félix. Ces projets trouvaient des points d’appui à l’intérieur du royaume, grâce à l’anéantissement de l’esprit public, réalisé par un absolutisme écrasant. La compagnie de Jésus leur prêtait ses renforts d’ouvriers cachés, habiles et laborieux, et de puissantes considérations religieuses vinrent prêter main-forte à la coalition domestique qui se pressait autour du roi mourant. Au fond, les prétentions élevées par les ennemis de la monarchie étaient une suite logique du système adopté par la branche aînée depuis la restauration,