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de vénération et d’amour, qu’ils persistent à le regarder comme le type de la perfection morale et comme l’élu de Dieu pour la libération de l’humanité. Le rigorisme un peu minutieux de M. Newman ne lui permit pas de s’arrêter à cette croyance ; il voulut au contraire retrouver jusque dans la conduite du Christ sur la terre les traits de l’imparfaite humanité, et ne conserva de la religion qu’une idée dont il aime encore à rendre hommage au christianisme : c’est qu’à l’homme moral doit s’unir l’homme spirituel, et que nos fautes et nos misères doivent s’absorber et s’éteindre dans une régénération de l’âme en Dieu. Sous les formes de la tradition, sous l’enveloppe de croyances qu’il ose trouver mensongères, cette idée est demeurée et s’est répandue dans le monde à la faveur et au nom du christianisme, et c’est ainsi qu’en se séparant de toutes les églises, de toutes les sectes, M. Newman ne consent pas à reconnaître qu’il ne lui reste rien de chrétien.

Il nous conviendrait peu de reproduire ses raisonnemens, et de paraître écrire sous sa dictée une réfutation du symbole. On nous croira aisément quand nous dirons que les Phases de la Foi sont une véritable introduction à l’incrédulité. La sincérité de l’auteur se montre à chaque page, et elle aurait dû sans doute désarmer la rigueur de ses censeurs. Quant à son argumentation, quoiqu’elle indique un esprit réfléchi et un critique intelligent, elle est loin d’être sans réplique, et cet ouvrage, curieux, intéressant même, comme compte-rendu des révolutions intérieures d’une conscience honnête, n’a pas une bien grande force, ni surtout une grande nouveauté, comme démonstration philosophique. La personne de l’auteur a plus d’originalité que ses idées. Il faut remarquer un trait caractéristique de l’écrivain, et peut-être de la société à laquelle il appartient. L’incrédulité en France a dicté bien des livres. Dans la plupart, la religion a été attaquée comme un fait extérieur dont il suffisait de ruiner la certitude ou la probabilité pour qu’il n’en restât rien dans l’âme. M. Newman, et en général les écrivains protestans, je dirai même tous ceux qui ont reçu l’influence anglo-germanique, procèdent tout autrement. Le principe de la foi chez eux n’est ni l’adhésion à l’autorité visible d’une tradition sociale ou littéraire, ni le besoin de donner une forme sensible à la conception métaphysique de la Divinité et de ses rapports avec la création ; c’est bien plutôt un sentiment implanté ou développé soigneusement dans leur âme, c’est une conscience naturelle ou acquise de l’état contradictoire de notre nature intérieure, également incapable de renoncer et de revenir au bien, convaincue et désespérée de son impuissance, séparée de Dieu par un obstacle invincible, si Dieu ne le détruit lui-même, irrésistiblement ramenée à la recherche d’une