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d’honneurs et entouré du respect universel ? Il nous importe d’apprendre pourquoi, suivant les temps et les pays, la science a eu des fortunes si diverses, poursuivi des objets si différens. Dédaigneuse des applications dans l’antique Grèce, elle est devenue aujourd’hui la servante de l’humanité, et s’efforce de satisfaire à tous ses besoins. Confondue dans les temps anciens avec la philosophie, elle s’en sépare dans les temps modernes, et tantôt reste son alliée, tantôt l’asservit, tantôt s’en déclare ennemie. Si nous la voyons, dans les pays où la réforme a triomphé, mettre humblement ses découvertes au service de la théologie, en France au contraire elle les tourne au XVIIIe siècle contre le christianisme, et en face de Rome élève l’Encyclopédie. Le rôle personnel assigné aux savans dans les diverses sociétés a subi des contrastes non moins singuliers : après la renaissance,, ils ne forment encore qu’une république peu nombreuse et ignorée ; leurs communications sont rares, difficiles, enveloppées de mystère ; leurs travaux ne sont pas connus hors du cercle le plus étroit. Peu à peu la science, enhardie par ses premiers succès, sort de l’obscurité et de la retraite. De nos jours, elle a si bien changé la condition des peuples par une succession d’étonnantes découvertes, que son nom est dans toutes les bouches. Son personnel est si nombreux, qu’on ne peut plus le compter : elle se mêle de plus en plus au mouvement extérieur des sociétés ; elle a sa place partout, dans les conseils des nations, dans les armées, sur les flottes ; elle a perfectionné les arts de la guerre et de la paix ; elle gouverne l’industrie, elle conseille l’agriculture ; elle est devenue l’arme la plus puissante de la civilisation. Le récit de ces étonnantes transformations doit nécessairement tenir une place importante dans l’histoire des sciences. En s’ajoutant aux études de critique proprement dite, il n’en diminue en rien l’importance, et tend au contraire à la rehausser. Ce n’est qu’en montrant comment toutes les inventions qui nous éblouissent dérivent d’un certain nombre de principes généraux, en ramenant sans cesse la pensée vers les vérités abstraites qui sont les bases de nos connaissances, qu’on fait une œuvre véritablement scientifique ; mais ce n’est qu’en combinant, dans d’heureuses proportions, deux ordres de considérations, les unes essentiellement tirées des sciences elles-mêmes, les autres propres à en caractériser l’influence philosophique et sociale, qu’on réussit à produire un ouvrage achevé, qui mérite de prendre place dans l’histoire.


AUGUSTE LAUGEL.