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MARITIMA.


Jetés si loin de toi, verte et neigeuse Écosse,
Terre des gazons frais, des bois, des lacs d’azur,
S’étaient-ils arrêtés, pour y creuser leur fosse,
À ce dernier recoin du désert âpre et dur ?…

Le vent soufflait, la nuit tombait du ciel immense,
Et tandis que la mer nous reprenait au bord,
Errante humanité, nous songions en silence
À ce que font de toi les sombres lois du sort !

Nous sondions tes destins cachés sous tant de voiles,
Et devant cette mer, qui déjà nous portait,
Sur les confins d’un monde, en face des étoiles,
Ta misère infinie à nos yeux éclatait.

III.

LA VACHE

Nous avions sur le pont, durant ce long voyage,
Une vache au flanc roux qui, de son pur laitage,
Abreuvait une femme et deux frêles jumeaux,
Bercés dans un hamac par le roulis des eaux.
Du vaste azur des mers partout environnée,
Elle voguait pensive, inquiète, étonnée.
Morne, elle regrettait, sur le plancher mouvant,
La terre qui jamais n’ondule sous le vent,
Les doux coteaux, le mont chargé de verts ombrages,
Et, baignés de ruisseaux, les heureux pâturages.
Après quarante jours de deuil silencieux,
D’une clameur sonore elle frappa les cieux,
Tressaillit, dilata son épaisse narine,
Et respira le vent de toute sa poitrine.
Les matelots soudain gravirent au hunier.
— Que voit-on de là-haut ? cria le timonier.
— Rien, lui répondit-on ; pas de côte entrevue…
— Qu’importe à l’instinct sûr qui devance la vue ?
Ô terre encor lointaine, en son pressentiment,
Elle te saluait de ce mugissement !