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sité les péripéties. En attendant, nous sommes réduits, comme les Prussiens, à nous amuser des révélations que chaque jour apporte sur les étranges pratiques du dernier gouvernement. En voici une qui concerne la presse, et que nous signalons à ces amateurs de nouveautés au gré desquels nous avons le malheur de n’être point assez jeunes. M. de Manteuffel ne s’était point contenté d’amortir l’initiative de la presse par les avertissemens officieux. Il avait inventé un expédient plus ingénieux. Lorsque la direction d’un journal d’opposition lui déplaisait, il offrait cette alternative au propriétaire et au rédacteur en chef de la feuille opposante : ou le journal serait frappé de suppression, ou il consentirait à recevoir un rédacteur donné par le ministre. N’allez pas croire que l’adjonction de l’écrivain ministériel dût entraîner le moindre changement dans le personnel de la rédaction ou dans la couleur apparente du journal. Non ; le ministre paternel de la Prusse ne voulait pas que le public pût s’apercevoir de sa secrète collaboration a la feuille qui devait sa popularité à sa réputation d’indépendance. Le journal demeurait journal d’opposition. Seulement il ne faisait plus que l’opposition qui était à la convenance du ministre. M. de Manteuffel avait auprès de lui un état-major de jeunes littérateurs qui, sur son ordre, allaient tenir secrètement garnison dans les journaux de l’opposition. Les bons Prussiens avaient pris la chose du côté plaisant, et donnaient le nom de d’apôtres à ces garnisaires littéraires de M. de Manteuffel. La Gazette d’Elberfeld vient de raconter sans colère comment ce système lui fut appliqué : elle se loue du reste beaucoup de la politesse et de l’obligeance de « l’apôtre » qu’elle a eu le bonheur de posséder. Que dites-vous de cette combinaison des apôtres ? Ne mérite-t-elle pas une place dans l’histoire tragi-comique des persécutions subies par la presse dans notre glorieux XIXe siècle ?

L’Angleterre, elle aussi, a en ce moment une de ces difficultés qui se rattachent aux questions de nationalité soulevées dans le midi de l’Europe. L’agitation des Iles-Ioniennes, la publication de la dépêche où le lord-commissaire, sir John Young, conseillait à son gouvernement de s’approprier Corfou en abandonnant le protectorat sur les autres îles, la mission extraordinaire de M. Gladstone, ont attiré l’attention de l’Europe sur cette partie de l’Adriatique où l’intérêt d’une station maritime anglaise se débat contre les vœux d’une population qui voudrait se rallier au foyer de sa nationalité. Cette lutte est sans doute digne d’attention par les sentimens qui y sont engagés du côté des Ioniens ; mais elle n’a point d’importance réelle au-delà du cercle étroit où elle se passe. L’Angleterre ne songe point à abandonner son protectorat et à remettre en question sur un si chétif prétexte les traités de 1815. En revanche, les Ioniens, s’ils n’obtiennent point la satisfaction d’aller grossir le petit royaume hellénique, sont assurés de voir redresser leurs griefs locaux. Il ne peut pas y avoir d’oppression réelle sous les institutions anglaises ; toutes les plaintes légitimes, et même celles qui ne le sont pas, trouvent un écho dans le parlement britannique. L’esprit libéral, qui de notre temps a pénétré tous les partis anglais, ne permettrait à aucun ministère de persévérer dans un système de vexations injustes contre une population annexée par un lien quelconque à l’empire. Le ministère anglais, en confiant à un homme tel que M. Gladstone la mission d’aller recueillir les plaintes des Ioniens et d’étudier sur les lieux le meilleur moyen de leur faire