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tutionnelles ne sont pas tellement redoutables, qu’elles peuvent au contraire être une garantie, puisque le roi Victor-Emmanuel vit au milieu d’elles entouré de la popularité la plus vraie. Les vieilles défiances laissées par la révolution de 1848 s’atténuent peu à peu, de meilleurs rapports renaissent naturellement, et même dans les affaires les plus délicates les animosités s’effacent. Le Piémont, il est vrai, n’a point réglé toutes les difficultés religieuses avec Rome, et il reste toujours une multitude de questions à résoudre. Il s’en faut cependant qu’il y ait entre Rome et le Piémont cette tension qui existait il y a quelques années. Les dispositions personnelles sont plutôt amicales. Nous nous sommes laissé raconter qu’il n’y a pas longtemps encore une dame de l’aristocratie florentine était à Rome ; elle fut admise auprès du souverain pontife avec ses deux fils, dont l’un portait l’uniforme. Le pape demanda avec intérêt quel était cet uniforme, et il lui fut répondu que ce jeune homme était officier dans l’armée sarde. « Ah ! dit le pape, vous servez dans un état constitutionnel. Je n’ai aucune prévention contre ce régime. Le Piémont est un pays sage que j’aime. Moi aussi, je donnerais volontiers le régime constitutionnel à mes états, si je pouvais avoir un ministre comme M. de Cavour. » N’y avait-il pas dans ces mots quelque intention doucement épigrammatique à l’égard de M. de Cavour, représenté quelquefois comme un dictateur conduisant les libertés piémontaises ? Nous aimons mieux y voir de la part de Pie IX un sentiment de bienveillance pour le Piémont et pour le président du conseil de Turin, qui est assurément un moins grand révolutionnaire qu’on ne pense.

Toujours est-il qu’il y a quelque intérêt à observer ces possibilités de rapprochement entre des pouvoirs faits pour s’entendre et les symptômes de renaissance d’un esprit un peu plus libéral partout où ils apparaissent en Italie. Il s’est produit récemment un symptôme de ce genre à Florence, dans une occasion singulière : il s’agissait d’un procès fait à un libraire, à M. Barbera, pour la réimpression de l’Histoire du Concile de Trente, de Paolo Sarpi. Le libraire était accusé d’avoir violé une loi sur la presse de 1848 en reproduisant l’œuvre du vieil historien sans l’avoir soumise à la censure ecclésiastique. On craignait que la magistrature n’esquivât la difficulté par un acquittement fondé uniquement sur la bonne foi du libraire Barbera, qui avait bien dû se croire autorisé à rééditer un ouvrage vieux de plusieurs siècles. Il n’en a rien été : le tribunal toscan a absous l’accusé en maintenant fermement le droit par une interprétation libérale de la loi. Ce qui est peut-être le plus à remarquer en cette affaire, c’est un mémoire publié par un des premiers avocats de Florence, M. Leopoldo Galeotti, en faveur du libraire Barbera. Ce n’est pas un plaidoyer, c’est un discours politique, substantiel, éloquent et hardi sans cesser d’être modéré, allant droit aux grandes questions, défendant la liberté de la presse en elle-même, et faisant justice des modernes fanatiques de l’absolutisme. M. Galeotti va même jusqu’à railler quelque peu l’Autriche : « Comment ne pas espérer aujourd’hui plus qu’hier, dit-il, lorsque nous voyons l’Autriche elle-même garantir aux populations roumaines leur nationalité et des franchises constitutionnelles ? Serait-ce que les peuples qui habitent les bords du Danube sont plus privilégiés de Dieu que ceux qui habitent les rives du Pô, de l’Arno et du Tibre ? » Obtenir le droit de réimprimer Sarpi, ce n’est pas là, si l’on veut, une grande