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comédienne, cantatrice, habile à peindre comme à graver, elle s’était munie de toutes les armes que l’art départit aux natures bien douées, avec la ferme résolution d’en essayer l’emploi sur un monde où jusqu’alors elles n’étaient point en usage. Au moment où commencèrent, à l’âge de vingt-deux ans, ses relations avec Louis XV, Mme de Pompadour brillait d’une beauté rehaussée par l’éclat d’une souveraine confiance. Allez la contempler au Louvre dans le beau portrait de Latour, et vous comprendrez tout ce qu’il y avait d’attractive puissance dans cette jeune femme, qui, sans remords comme sans passion, et sans autre souci que celui de plaire, abordait la vie avec une plénitude de foi dans sa fortune et dans le bonheur.

Heureuse en effet de sa conquête, Mme de Pompadour porta au roi, avec une fidélité que sa froideur rendait facile, l’attachement que ne pouvait manquer d’inspirer un bel homme couronné à une jeune femme restée vulgaire malgré le clinquant de son éducation. Afin de conserver longtemps les fruits d’une victoire que les familiers du château d’Étioles mettaient au niveau des plus glorieuses, la nouvelle maîtresse reconnue prit le contre-pied de la marche suivie par Mme de Châteauroux. Caresser les penchans secrets de Louis XV en affectant une liberté charmante dans un asservissement perpétuel, s’emparer de l’homme par toutes ses faiblesses sans s’inquiéter autrement de la gloire du souverain, toujours assez puissant au gré d’une petite bourgeoise, tel fut le premier plan de campagne tracé par l’adroite Parisienne, qui n’avait de la grande dame française ni les instincts ni le cœur. Si la marquise fut conduite à modifier ce plan bientôt après, si elle dut s’attribuer un rôle politique afin de fortifier auprès du roi son influence décroissante, cette nouvelle phase n’avait été au début ni prévue ni souhaitée ; l’horizon de ses pensées ne s’étendait point alors jusqu’aux affaires, et ne dépassait certainement pas le rêve d’un grand établissement à la cour.

Quoiqu’au nom de Mme de Pompadour se rattache le souvenir d’une lutte sanglante, cette femme de salon, pour ne pas dire d’atelier, avait une instinctive répugnance pour les armes ; elle avait d’ailleurs fort bien pénétré la nature pacifique d’un monarque qui fit la guerre sans l’aimer durant la plus grande partie de son règne. Cependant l’état de l’Europe rendait pour quelque temps impossible la séquestration du roi dans les obscures retraites où sa maîtresse aspirait à le retenir, loin des affaires et loin du monde. Des embarras qu’un gouvernement résolu aurait dénoués d’un seul coup avaient enlacé un pouvoir sans volonté dans un réseau de difficultés inextricables. L’empereur Charles VII venait de mourir sous le poids de ses déceptions et de ses douleurs, et lorsque la France, chassée de toute l’Allemagne, en était réduite à défendre ses propres frontières, aucun doute n’était possible sur le nom de son inévitable successeur. L’intérêt