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chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, car le Poisson avait été mis au bleu !

Ni Mme de Pompadour, ni le roi lui-même n’envisageaient d’ailleurs l’avenir sous un aspect plus rassurant. On sait avec quelle bonne grâce la marquise s’écriait en jouant de l’éventail : « Après moi le déluge ! » Mme Du Hausset nous a confirmé une longue conversation du roi durant une crise parlementaire, et sa conclusion présente avec la prophétie de Mercier de La Rivière une saisissante identité : « Les grandes robes et le clergé sont toujours aux couteaux tirés, ils me désolent par leurs querelles ; mais je déteste bien plus les grandes robes… Les parlemens voudraient me mettre en tutelle ; ils finiront par perdre l’état. C’est une assemblée de républicains. Au reste, en voilà assez ; les choses comme elles sont dureront autant que moi[1]. »

Avec de semblables perspectives et un fonds de mélancolie à l’épreuve des plus ardentes voluptés, Louis XV était un homme inamusable. L’ennui n’était pas chez lui comme chez Louis XIV le fruit tardif de la vieillesse et du malheur, c’était un mal chronique qui l’avait visité dès sa jeunesse et aux plus florissantes années de son règne. Tel fut l’ennemi contre lequel Mme de Pompadour eut à lutter et sur lequel elle remporta durant dix-huit ans une victoire à peu près complète. C’est le seul avantage qu’elle ait obtenu sur une autre femme dont il serait messéant de citer le nom à côté du sien. Quelle fécondité d’inventions, quelle variété de moyens ne développa-t-elle point dans l’accomplissement de cette tâche désespérante ! Aux distractions consacrées pour remplir le vide des journées royales, la favorite ajouta les déplacemens fréquens, les constructions dispendieuses, le goût des superfluités élégantes. D’un homme naturellement avare, elle fit le prince le plus prodigue de son temps, et voulut elle-même être riche à millions, moins pour s’assurer une grande fortune que pour initier son amant à tout le comfort de la vie privée, qu’il n’avait pas jusqu’alors soupçonné. Elle vengea le roi de l’étiquette du grand couvert par la liberté des petits soupers ; aux représentations des chefs-d’œuvre elle substitua les spectacles des petits appartemens, organisation savante et compliquée de mille incidens journaliers, qui tenaient le roi en haleine et mettaient la cour entière en mouvement à la plus grande gloire de la marquise, actrice charmante et musicienne accomplie. Si ce théâtre de bergeries, dont Laujon fut l’un des fournisseurs et s’est fait l’historien[2], donne une assez mince idée des goûts littéraires de Mme de

  1. Mémoires de madame Du Hausset, page 94.
  2. Spectacles des petits cabinets de Louis XV, dans la collection des mémoires relatifs au XVIIIe siècle.