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la royauté et la tumultueuse cité dont il avait pressenti le rôle prochain. De Paris s’élevaient en effet comme d’un vaste et brûlant foyer de terribles aspirations mêlées de démocratie et de fanatisme. Damiens aiguisait son poignard en silence dans les réunions des convulsionnaires et aux abords du Palais-de-Justice, et bientôt, avec cette froide sécurité qu’inspirent toujours les passions collectives aux hommes qui les résument, il se fit le vengeur d’un peuple dont il n’était que l’écho.

Si l’opinion de la capitale inquiétait Louis XV sans l’émouvoir, il n’en était pas ainsi pour Mme de Pompadour, car celle-ci était la plus parisienne des femmes ; puis, en perdant l’appui extérieur qu’elle avait attendu de la ville contre la cour, elle voyait s’évanouir l’une des premières illusions de sa vie. Les sévérités de l’opinion lui furent donc très amères, et c’est assurément à l’espoir de les adoucir par une entreprise éclatante qu’il convient d’attribuer le grand acte dont la conclusion changea d’une manière si inattendue l’attitude de la France dans le monde diplomatique. Devenir l’intermédiaire d’une étroite alliance avec cette puissante maison d’Autriche, si longtemps réputée l’irréconciliable ennemie de la maison de Bourbon, frapper l’Europe de surprise à défaut de stupeur, atterrer ses ennemis en étalant ses rapports directs avec la plus grande et la plus vertueuse des souveraines, tels furent les motifs de Mme de Pompadour, et la chronique n’ajoute rien sur ce point-là aux certitudes fournies par l’histoire. L’intérêt manifeste de la marquise présentait, pour accueillir les avances de Marie-Thérèse, des raisons beaucoup plus plausibles que ne l’auraient été les épigrammes de Frédéric II et les cancans de Potsdam. Des considérations d’un caractère fort différent expliquent et justifient l’habile conduite de l’impératrice. Cette princesse, aussi vindicative qu’obstinée, avait toujours considéré comme une trêve la paix conclue par elle avec la Prusse, et son ardeur pour reprendre la Silésie ne demeurait pas moins vive après le traité de Dresde que ne l’était chez Frédéric la résolution de conserver sa conquête.

Sous l’obsession de cette idée, tout le travail du cabinet de Vienne à partir de la paix d’Aix-la-Chapelle dut consister à isoler la Prusse et à relâcher les liens formés entre elle et la France par l’identité des intérêts et par une longue confraternité militaire. Se ménager la neutralité du cabinet de Versailles pour le jour prochain où l’Autriche croirait pouvoir attaquer la Prusse, c’était une chance que l’apathie croissante de Louis XV ne rendait pas dès l’abord invraisemblable ; mais faire passer la France d’une simple tolérance à une active coopération, se faire attribuer ses trésors et ses armées afin de renverser la monarchie d’un grand homme, notre seul allié dans