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insignifiante : c’était la sanglante contre-partie de cette politique qu’elle entendait lui préparer. L’impératrice exigea donc un traité offensif et défensif, se montrant d’ailleurs de fort bonne composition sur le chiffre du contingent, qu’elle aurait réduit au besoin à un caporal et quatre hommes. Quoique appelé aux affaires par Mme de Pompadour, Bernis soutint une lutte opiniâtre contre sa protectrice afin d’écarter les stipulations qui ne tardèrent pas à devenir si funestes : s’il eut la faiblesse d’apposer sa signature au traité conclu contre ses conseils dans les conférences de Babiole[1], une retraite honorablement prise après qu’on eut refusé la paix à ses instances réitérées constate qu’il demeura fidèle à sa pensée, et qu’il osa continuer de déplaire.

Quoique Bernis ait conservé le ministère jusqu’en 1758, il avait perdu la confiance de la femme frivole qu’enivrait la perspective de soutenir de compte à demi avec une princesse illustre une lutte personnelle contre le plus grand homme de guerre de son temps. Dès la signature du premier traité conclu avec l’Autriche, le comte de Choiseul-Stainville avait été dans la pensée de la marquise le successeur désigné du cardinal. Ambassadeur à Vienne depuis plusieurs années, M. de Choiseul avait le cœur tout autrichien. Lorrain d’origine, fils d’un ministre du duc de Lorraine à Paris, ce spirituel et brillant seigneur appartenait à la nouvelle maison impériale par reconnaissance et par affection. Assez ambitieux pour subordonner au besoin ses préférences à ses intérêts, il eut la fortune de pouvoir servir ceux-ci en satisfaisant pleinement celles-là. Durant sa résidence à Vienne, l’ambassadeur, fort au courant et des faiblesses d’esprit de la favorite et des cruels embarras de sa position, fit miroiter devant ses regards novices les plus hardies et les plus magnifiques perspectives. Dans un complet remaniement de l’Europe, il lui montrait le Hanovre arraché à l’Angleterre, la Suède et la Saxe, nos alliées, agrandies aux dépens de Frédéric II, personnellement antipathique à Louis XV. Quelquefois il laissait entrevoir, quoique dans une sorte de pénombre, la France obtenant les Pays-Bas autrichiens pour prix d’une alliance dont la Prusse seule paierait les frais. En attendant l’accomplissement de ces beaux rêves, il enlaçait la vanité de Mme de Pompadour par un commerce avec l’impératrice dont l’effet fut irrésistible. L’alliance autrichienne fut ainsi l’œuvre de M. de Choiseul. Il la prépara par ses dépêches et par ses conseils plus efficacement que ne purent le faire à Versailles MM. de Kaunitz et de Stahremberg par leurs obséquiosités. Joueur confiant et résolu, il plaça toute sa fortune sur cette carte, n’hésitant pas à doubler

  1. Petite maison de campagne de la marquise de Pompadour.