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fit peser sur la surface du pays cette servitude immense dont les derniers vestiges n’ont disparu qu’avec la révolution du dernier siècle. Les biens communaux, les alleux des municipes furent à leur tour inféodés, et payèrent comme la propriété individuelle la taille, les chevauchées et toutes les redevances imaginées par la féodalité.

Le grand mouvement communal des XIe et XIIe siècles eut pour résultat de rendre aux cités et aux villages, avec leur libre administration, leurs biens purgés des droits féodaux de toute sorte. Dès le XIIe siècle, le sol communal fut affranchi, les communes rentrèrent dans la plénitude de leurs droits, et l’on a pu dire avec quelque raison qu’elles avaient été le berceau du franc-alleu roturier ; seulement il fallait encore près de cinq siècles à la propriété individuelle pour sortir des liens que la propriété communale avait brisés, car l’affranchissement de la propriété individuelle ne fut définitif qu’après la nuit du 4 août. Lorsqu’en effet l’assemblée constituante déclara que le sol était libre comme les personnes qui l’habitent, elle ne fit point une stérile proclamation, ainsi que ne cessent de le répéter des esprits superficiels ou prévenus ; elle détruisit bien réellement la dernière attache de la féodalité, et fit de la propriété privée encore asservie ce qu’elle est aujourd’hui.


II

Cependant il ne faut pas croire que les communes aient eu la singulière fortune de traverser sans nouvelles secousses le grand espace qui les séparait encore de 1789. Des périls d’un autre genre les attendaient dans cette période. Contre les empiétemens successifs de la royauté, les fils des hardis communiers qui avaient marqué si résolument du bout de leur lance la limite qui séparait le domaine communal des terres du seigneur ou de l’évêque ne surent point se défendre. La commune jurée était devenue très puissante ; elle s’était mesurée avec la féodalité, qui réunissait tous les pouvoirs ; après l’avoir vaincue, elle voulut, comme elle, réunir tous les pouvoirs. Elle leva des impôts, rendit la justice, battit monnaie, jusqu’au jour où la royauté reconnut là ses propres attributs et se mit en mesure de lui enlever ces exorbitans privilèges. Dans cette voie par malheur, la pente est entraînante : peu à peu les pouvoirs municipaux suivirent les autres, et bientôt la commune disparut dans l’état. Au XVIIe siècle, les communes étaient retombées à peu près au point où elles étaient avant leur affranchissement. Si la liberté électorale est encore reconnue en principe, elle est dénaturée, anéantie dans la pratique, et le peuple ne s’y trompe pas. Ce que M. de Tocqueville dit si bien de la commune du XVIIIe siècle peut à cet