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d’un Européen, n’avait pas plus tôt franchi le seuil qu’il était fait prisonnier[1]. Les personnes de distinction qui l’accompagnaient partagèrent son sort ; on les conduisit sous bonne garde dans le palais du peshwa, tandis que lui-même, on l’enfermait comme un prisonnier d’état dans la citadelle d’Ahraednagar, située à trente lieues de Pounah, dans la province d’Aurangabad. La forteresse et le district qu’elle commandait passèrent immédiatement au pouvoir de Dowlat-Rao-Sindyah, qui devint maître non-seulement d’une place forte d’une grande importance, très rapprochée de la capitale, mais encore des passages qui défendent le territoire de Pounah du côté des états du Nizam.

Cette lâche trahison, accomplie au moyen d’un odieux mensonge, attestait avec une triste évidence l’affaiblissement du sentiment moral chez les Mahrattes : elle devait être le prélude des scènes de meurtre et de pillage qui ensanglantèrent la capitale. Les amis et les parens de Nana-Farnéwiz, assaillis chez eux et traqués dans les rues par les troupes de Sindyah, tombaient frappés de coups de lance, mutilés et baignés dans leur sang. Soukaram-Ghatgay excitait de toute sa force ces massacres auxquels il prenait un féroce plaisir ; le pillage des victimes semblait être le but principal des auteurs de ces attentats. On eût dit qu’une horde de brigands faisait irruption dans la ville de Pounah. Ceux des habitans que l’on attaquait dans leurs demeures se barricadaient à la hâte, et répondaient par des coups de mousquet au feu dirigé contre eux. Les terrasses des palais, les balcons des maisons se couvraient de gens désespérés luttant jusqu’au dernier soupir contre un ennemi qui en voulait à leurs richesses autant qu’à leur vie. La confusion était partout ; on ignorait encore la cause de ces désordres soudains. L’alarme se répandait de quartier en quartier. Au milieu de la terreur générale, on prononçait le nom déjà redouté et bientôt abhorré de Shirzie-Rao[2], qui était devenu celui de Soukaram-Ghatgay depuis son élévation. Chacun décrochait le bouclier rond suspendu à la muraille, et prenant en main la vieille dague à large poignée, courait dans la rue se rallier aux voisins et aux amis pour former une troupe capable de repousser les assauts des brigands et des pillards. Dans l’armée de Sindyah, parmi ceux qui mettaient à feu et à sang la capitale

  1. D’après l’auteur de l’Histoire des Mahrattes (M. Grant Duff), les indigènes ont toujours affirmé que ce Napolitain, nommé Filoze, ignorait le piège tendu à Nana-Farnéwiz, et qu’il était de bonne foi quand il engageait sa parole d’honneur. Le même auteur ajoute, que les Hindous, toujours prêts à faire bon marché d’eux-mêmes, affectent beaucoup de politesse à l’égard des Européens, et cherchent volontiers à les décharger des fautes qu’ils commettent avec leur appui, et dont ils assument toute la responsabilité.
  2. D’autres écrivent Shir-Dji et Sur-Dji.