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avec moins d’impatience que le peshwa la présence de Sindyah et de sa faction. Lorsque Badji-Rao parlait à Dowlat-Sindyah de retourner dans l’Hindostan, celui-ci répondait : Payez la solde arriérée de mes troupes, comptez-moi les millions que vous m’avez promis pour prix de mes services ! — A court d’argent et n’osant lever une contribution sur les habitans de Pounah, déjà rançonnés et maltraités, Badji-Rao ne savait quel parti prendre ; son anxiété croissait chaque jour. Il craignait d’une part d’exaspérer par des exactions le peuple mahratte, ruiné et mécontent ; de l’autre, il se voyait mis en demeure de solder au terrible auxiliaire dont il avait invoqué l’appui des sommes immenses. Pour sortir de cette position difficile, Badji-Rao eut recours à un moyen odieux ; il conseilla à son redoutable créancier de se payer lui-même en permettant à Shirzie-Rao, devenu son ministre, d’extorquer aux adhérens de Nana-Farnéwiz tout l’argent qu’il pourrait se faire livrer. Les malheureux partisans du chancelier, alors détenus en prison et qui n’avaient commis aucun crime, furent torturés avec la dernière cruauté par l’infâme Shirzie-Rao. Plusieurs d’entre eux, gens honorés et brahmanes de caste, périrent par suite des traitemens barbares qui leur avaient été infligés.

Badji-Rao espérait que ces atrocités, portant à son comble l’exaspération des Mahrattes, amènerait contre Sindyah et les siens un soulèvement général. Soigneux de ne pas compromettre sa popularité, il consentait à des crimes dont l’odieux devait retomber, il le croyait du moins, sur leurs seuls auteurs : politique honteuse, et que le succès même n’aurait pu faire absoudre ! La famille Holkar, — nous venons de le voir, — avait perdu momentanément son indépendance ; les autres chefs mahrattes ne se sentaient pas non plus de force à lutter contre Sindyah, et le peuple, réduit à gémir et à se plaindre, ne se levait pas contre ses oppresseurs. Plus directement opprimé que personne, las d’attendre un mouvement populaire qui tardait trop à éclater, le peshwa Badji-Rao complota enfin avec son propre frère Amrat-Rao, — récemment appelé au commandement de l’armée[1], — la perte de Sindyah. Résolu à frapper dans l’ombre et à trancher par la trahison les difficultés inextricables dans lesquelles il se trouvait enlacé, il invita poliment Dowlat-Rao-Sindyah à paraître en sa présence. L’invitation ayant été mal accueillie, le peshwa ordonna formellement au jeune prince de venir lui parler, et celui-ci, subjugué par le ton d’autorité que prenait le premier ministre, se décida à obéir.

  1. Il s’agit ici de l’armée du gouvernement de Pounah, de celle que l’on nommait l’armée du peshwa, pour la distinguer des autres armées mahrattes appartenant au petit souverain de Nagpour, à Sindyah et à Holkar. Le souverain nominal, relégué à Satara, avait aussi quelques troupes à lui.