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Ainsi le peshwa Badji-Rao, à peine délivré de la surveillance jalouse du chancelier Nana-Farnéwiz, ne devant son élévation qu’à de mesquines intrigues, qui venaient de prendre les proportions d’une guerre civile, mandait hardiment dans son palais celui-là même de qui il tenait le pouvoir, le fier mahârâdja qui pouvait le renverser de son souffle. Il l’appelait devant lui comme un coupable, décidé à lui reprocher son indigne conduite ; il l’introduisait sous son toit comme une victime, résolu de s’emparer de sa personne par surprise, en violant les droits de l’hospitalité. Des bataillons réguliers, qui devaient se jeter sur Sindyah à un signal convenu, étaient déjà placés autour du palais par Amrat-Rao. Pour jouer à la fois le rôle de chef d’une nation féodale accusant en face, au nom de la justice méconnue, son plus puissant vassal, et celui de conspirateur poltron cherchant à se saisir d’un ennemi désarmé, il fallait être sûr de son droit et compter sur la plénitude de son autorité ; il fallait aussi se sentir bien faible et cacher sous une dignité apparente un grand fonds » de duplicité.

Badji-Rao remplit le premier de ces deux rôles avec une certaine grandeur. D’un geste poli, mais sévère, il fit asseoir le jeune mahârâdja, et, s’animant par sa propre parole à mesure que celui-ci paraissait se troubler sous le regard menaçant de son accusateur, il éclata en reproches. Tandis que le peshwa, déroulant la série des crimes et des forfaits dont le mahârâdja ne pouvait décliner la complicité, retraçait avec véhémence les scènes de carnage qui avaient ensanglanté la capitale, et qu’il montrait le chef-lieu de la confédération mahratte livré aux violences d’une horde impie par celui-là même dont le premier devoir était de défendre la patrie commune contre toute agression, Dowlat-Rao-Sindyah, humilié, se repentant peut-être de ses faiblesses, balbutiait à peine quelques excuses. Les bons sentimens de la jeunesse se réveillaient en lui ; il protestait de son dévouement à la personne du peshwa et de son respect pour l’autorité dont était investi ce représentant du pouvoir royal.

— Allez, s’écria enfin Badji-Rao, sortez de Pounah avec tous les vôtres ; retirez-vous dans vos possessions du nord, par-delà la Ner-boudda…

— Je suis prêt à obéir, reprit Dowlat-Rao avec embarras ; je ne suis que le serviteur du peshwa, comme l’ont été mes ancêtres… Dès demain je quitterai Pounah, si vous daignez m’accorder les fonds nécessaires pour payer mes troupes.

À cette objection, qu’il avait prévue, le peshwa ne répondit rien ; il avait résolu d’arrêter le mahârâdja sans lui rien payer. Les exigences de celui-ci reparaissaient, quoique sous une forme plus humble. Cette terrible question d’argent rappelait du même coup les services rendus par Dowlat-Rao au peshwa et les promesses faites