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bles, mais en tout cas aventurées, que nous sommes forcés d’émettre sur la situation politique inaugurée par l’année 1859.

Résumons d’abord les faits épars qui, sans expliquer cette situation, en révèlent du moins le caractère. Les paroles adressées par l’empereur à M. de Hubner nous ont appris que nos relations avec l’Autriche ne sont point satisfaisantes. Certes on savait depuis longtemps que le gouvernement français s’était trouvé en dissentiment avec le cabinet de Vienne sur la plupart des questions soulevées par l’application du traité qui a mis fin à la guerre d’Orient ; mais ces dissentimens, soumis eux-mêmes à l’arbitrage des conférences de Paris, n’étaient pas de nature à ébranler la paix, et d’ailleurs les questions qui les avaient provoqués étaient résolues avant la fin de l’année dernière. La révolution de Servie avait, à la vérité, fait naître une difficulté nouvelle. L’Autriche ne s’était pas contentée de protéger, par une concentration de troupes, ses frontières contre les suites du mouvement serbe ; elle avait mis une brigade à la disposition du pacha de Belgrade, dans le cas où les Serbes auraient attaqué la forteresse turque de cette ville. Cette offre de l’Autriche au pacha de Belgrade était certainement contraire à l’art. 29 du traité de Paris, qui déclare « qu’aucune intervention armée ne pourra avoir lieu en Servie sans un accord préalable entre les hautes puissances contractantes. » La distinction que le cabinet de Vienne cherchait à établir entre la forteresse turque, regardée par elle comme territoire purement ottoman, et la ville même de Belgrade, considérée comme territoire serbe, proprement dit, ne peut tenir contre le texte du traité, qui emploie évidemment le mot de Servie dans le sens géographique absolu ; mais cette chicane autrichienne ne pouvait aboutir à un casus belli, et d’ailleurs les événemens mêmes n’ont pas permis au cabinet de Vienne de la poursuivre sur le terrain pratique, si bien qu’elle ne peut plus faire l’objet que d’une querelle rétrospective et spéculative. Ainsi, du côté de l’Orient, le chapitre des contestations entre la France et l’Autriche était clos ou allait se fermer. Au surplus, dans la question d’Orient, il serait si monstrueux qu’une lutte diplomatique entre ces deux puissances fût poussée jusqu’à la guerre, une telle conséquence serait si profitable à l’influence russe, si contraire à la politique qui a inspiré à la France la guerre de Crimée, que l’énormité seule d’une telle hypothèse suffisait pour rassurer l’opinion et la laisser presque indifférente à l’esprit de querelle et de tracasserie que l’Autriche déploie dans les questions danubiennes.

Ce n’est donc pas de ce côté que nos relations avec l’Autriche pouvaient s’envenimer au point de mettre la paix européenne en danger : il fallait chercher ailleurs, sinon toutes les causes, du moins les plus dangereuses conséquences du déplaisir exprimé par l’empereur sur l’état des relations entre les deux gouvernemens. C’est ce qu’a fait l’opinion en portant subitement ses craintes vers l’Italie. Déjà, depuis plusieurs mois, ceux qui suivent avec assiduité la marche des choses et l’état des esprits au-delà des Alpes, notamment en Piémont, ne se dissimulaient pas que l’Italie pouvait, au premier moment, être le théâtre d’événemens graves. Il était visible que le gouvernement piémontais pressait ces événemens de ses vœux, il était visible que ce que l’on appelle à Turin la question italienne devenait une pré-