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nement de la grande cité californienne, de celui qui agissait et protégeait efficacement la communauté, est sans contredit le plus remarquable exemple de ces crises que traverse parfois la liberté. Ajoutons, pour être juste, que si jamais circonstances autorisèrent une ville à prendre ses destinées en main, comme le fit San-Francisco, ce furent les événemens que nous allons raconter.

Dans la foule d’émigrans qui avaient si promptement porté la population du pays de quelques centaines d’âmes à près d’un demi-million, se trouvaient naturellement force aventuriers de la pire espèce. Nuls préparatifs ne retardaient leur départ; leur fortune, toujours réalisée, reposait dans la poche du premier passant, et l’inévitable anarchie qui les attendait à l’arrivée leur était trop favorable pour que, dès les premiers convois, ils n’affluassent pas sur cette terre où chacun semblait avoir l’heureux don du roi Midas, de changer tout objet en or. On ne tarda pas à s’apercevoir de leur présence, d’abord aux vols, qui devinrent d’une fréquence éhontée, puis aux audacieuses violences qui, à la faveur de l’impunité, en furent naturellement le corollaire. Bientôt une vaste association réunit tous ces misérables; ostensiblement établie, ayant publiquement élu ses chefs, ayant même adopté des signes extérieurs de reconnaissance, elle affichait un but dérisoire de secours mutuels, et le dimanche se promenait en corps par la ville, bannière au vent et musique en tête. Hounds, littéralement limiers, chiens de chasse, tel était le nom bizarre choisi par ces coquins patentés, qui, sitôt la nuit venue, se livraient effectivement à une chasse dont ne s’accommodaient guère les malheureux voués au rôle de gibier. Tantôt un restaurant était envahi et pillé, tantôt le simple émigrant lui-même voyait sa tente saccagée, détruite, et ses biens enlevés. On évitait du reste de pousser les choses jusqu’au meurtre; les hounds se contentaient d’assurer le souvenir de leurs visites par de solides volées de coups de bâton, et cette modération leur permit de continuer pendant la plus grande partie de 1849 une industrie aussi productive que peu compliquée. Ils avaient soin, pour plus de sûreté, de s’adresser de préférence aux étrangers, dont l’isolement était une garantie contre toutes représailles, et s’érigeaient ainsi assez plaisamment en redresseurs de torts, chargés de défendre contre tout empiétement l’intégrité du sol national. Les Américains étaient par suite soigneusement épargnés. Le hasard voulut pourtant qu’un jour les revolvers se missent de la partie; l’opinion s’émut, et, grâce au remède universel de l’association, une maréchaussée volontaire s’organisa, qui traqua à leur tour les hardis limiers, dont elle eut promptement raison. Ce n’était là, pour employer l’expression vulgaire, que la petite pièce avant la grande, qu’une sorte