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des gouvernemens faibles et protégés qui semblent ne se soutenir qu’au prix de leur indépendance civile et de leur bien-être, les populations s’accoutument à confondre dans leurs ressentimens les protégés et le protecteur.

Je voudrais rendre plus sensible, par un fait d’un ordre supérieur, ce qu’il y a de périlleux dans cette solidarité. Quels ont été les effets religieux du concordat signé le 18 août 1855 entre Rome et l’Autriche ? Tout porte à croire qu’ils sont nuls, du moins en Italie. Les autorités autrichiennes ne s’en occupent même pas ; elles interviennent dans l’administration des diocèses comme cela est arrivé il y a peu de temps à Pavie ; elles interdisent la chaire à des prédicateurs, elles prétendent prescrire comme par le passé les livres qui servent à l’enseignement dans les séminaires, et si on leur objecte le concordat, elles répondent que c’est une affaire entre l’empereur et le pape. Ce qui est certain, c’est que, dans cette grande transaction, le caractère religieux s’est effacé pour ne laisser apparaître que le caractère politique. On a vu dans le concordat, contre la pensée de Pie IX certainement, le pontife servant de trait d’union entre le souverain de Rome et l’empereur, la papauté se faisant solidaire de la domination étrangère, lui livrant le droit d’indépendance en échange des droits de l’église, et on s’est accoutumé à croire que le pouvoir temporel du pape était un des plus sérieux obstacles à la résurrection nationale de l’Italie. Je ne discute pas cette idée, on le comprend, je la constate comme un des signes de la situation présente, comme la preuve de l’accablante responsabilité que la politique impériale fait peser sur les gouvernemens de la péninsule en leur imprimant le sceau d’un pouvoir soutenu, protégé par une force étrangère.

Un dernier effet de la prépondérance de l’Autriche en Italie, et l’effet le plus redoutable peut-être, c’est que par la force des choses elle produit une véritable oblitération d’idées et de sentimens, une désastreuse confusion morale. Qu’on se représente bien un pays partagé, il est vrai, en différens états, mais où survit après tout un instinct commun de nationalité : se dire Italien en un certain sens politique et national, c’est déjà un crime ; nourrir quelques idées libérales, quelques désirs de réformes civiles, c’est un commencement de crime, car tout mouvement libéral, même le plus pacifique, cache au fond une idée d’affranchissement, et devient une menace. Il y a eu mieux quelquefois : on n’était pas parfaitement pur même en étant absolutiste, si à cet absolutisme se mêlait quelque idée d’indépendance pour le prince… De là ces conditions étranges et indéfinissables qui sont particulières à l’Italie. Privés de la large issue d’une action régulière, ne rencontrant qu’obstacles de