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libérale, active, intelligente, fondant sa tranquillité et sa force sur les satisfactions données à tous ces vœux et à tous ces sentimens comprimés ailleurs. Par un contraste de plus, au moment d’une guerre européenne, tandis que l’Autriche s’attardait dans des temporisations auxquelles n’était point sans doute étrangère la préoccupation de ses intérêts au-delà des Alpes, le Piémont se jetait hardiment et résolument dans la mêlée, pensant tout au moins donner à sa politique le lustre de la gloire militaire. Qu’en est-il résulté ? Le rôle du Piémont s’en est agrandi ; son influence a dépassé ses frontières. Ses institutions libérales lui ont servi à étendre son action du côté de la péninsule, tandis que sa participation aux affaires de l’Europe lui servait à faire pénétrer les questions italiennes dans les conseils diplomatiques. Les instincts d’indépendance, les malaises, les plaintes et les vœux des populations éparses au-delà des Alpes ont trouvé en lui un défenseur et un organe ; la politique autrichienne en Italie a eu un antagoniste en quelque sorte reconnu, et le Piémont est devenu dans l’opinion, comme il était déjà dans ses ambitions et dans ses espérances, l’instrument possible d’une pacification de la péninsule par l’affranchissement à un jour donné. À quoi tient l’efficacité de l’intervention du Piémont dans les affaires d’Italie ? Elle ne tient assurément à rien de révolutionnaire, comme on le dit quelquefois. Elle vient de ce que le Piémont est un gouvernement, de ce qu’il a une histoire et de ce qu’il a su, dans tous les temps, proportionner son rôle et sa politique aux éventualités nouvelles qui pouvaient s’offrir, se plier avec une heureuse hardiesse aux transformations d’idées qui devenaient une force de plus.

Rien ne caractérise mieux peut-être les conditions actuelles de l’Italie que cette existence d’un pouvoir organisé représentant dans ce qu’elles ont de plus sérieux les aspirations nationales, que cette incarnation pour ainsi dire de l’idée d’indépendance dans un gouvernement. Il n’y a que les esprits légers ou imbus de chimères qui pensent que tout réside dans les mouvemens spontanés, dans les agitations anonymes et les explosions incohérentes. La vérité est qu’une idée, surtout une idée d’affranchissement, en face d’une domination établie et toujours armée, ne fait pas beaucoup de chemin tant qu’elle reste une abstraction ou une sédition partielle et confuse ; elle a besoin le plus souvent de trouver une personnification, et si cette personnification est un gouvernement ancien, universellement reconnu, qui a ses alliances, ses ressources, son budget, son armée, elle devient un fait avec lequel il faut compter. Ce qui était une force éparse et incohérente devient une force régulière et concentrée. Le Piémont est un gouvernement régulier, et c’est parce qu’il est un gouvernement que l’idée d’indépendance.