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pris racine sur le sol ennemi d’une manière inébranlable. Il ne peut plus être question pour eux de rembarquement avant la victoire; aussi pouvons-nous regarder le rôle protecteur des flottes comme terminé. Elles n’auront plus à concourir militairement aux opérations de l’armée; quelques compagnies de matelots, mises à terre avec leurs canons, prendront seules quelque part aux glorieux travaux du siège. Du côté des Russes, le rôle de la marine fut plus considérable, et leurs navires à vapeur, enfermés dans le port, ne cessèrent de seconder puissamment la défense. Conduits avec habileté et hardiesse, toujours en mouvement, et par conséquent difficiles à atteindre, on les voyait tout à coup quitter l’abri des hautes terres derrière lesquelles ils se cachaient, et, se démasquant à l’ouvert d’un ravin, troubler les opérations du siège avec leurs projectiles. Aux jours d’assaut, leur concours n’était pas moins utile aux assiégés, et plus d’une fois nos soldats, obligés de traverser sous leur feu des espaces découverts, leur durent des pertes cruelles. De leurs mouillages lointains de Kamiesh et de Balaclava, les escadres alliées ne pouvaient rendre de pareils services; elles en rendirent d’un autre genre. Entre les assaillans, établis dans des positions inexpugnables, et les assiégés, chaque jour resserrés de plus près dans leur vaste camp retranché, la fin de la lutte n’était plus qu’une question de temps. Loin, bien loin de nous, en écrivant ces mots, la pensée de venir ici diminuer en rien les mérites de nos admirables soldats ! Pendant leur long séjour sur le plateau de Chersonèse, ils ont montré qu’aucune vertu guerrière ne leur était étrangère. A ce courage bouillant et intelligent, à cet élan irrésistible, qui en font pour l’attaque les premiers soldats du monde, ils ont su joindre une fermeté et une patience dans les privations dont se sont étonnés ceux qui les connaissaient le mieux, ceux même qui les commandaient. La noble et austère école de nos guerres d’Afrique a été pour quelque chose dans ce résultat, qui a trompé les espérances de l’ennemi, et les braves régimens qui ont supporté avec tant de constance l’hiver de 1855 en Crimée se souvenaient des garnisons de Tlemcen, de Milianah, et du camp de la Tafna. C’étaient tou- jours les hommes héroïques auxquels un des généraux[1] qui ont eu l’honneur de les commander portait en 1839 ce toast qu’on nous permettra de rappeler :

A L’ARMEE D’AFRIQUE!

……………

« A cette armée qui, maniant tour à tour la pioche et le fusil,

  1. Le duc d’Orléans.