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attendre des secours ; mais pour opposer une telle résistance, il ne faudrait pas se fier à d’anciennes fortifications, regardées en d’autres temps comme inexpugnables. Les Russes, avec leur forteresse de Kinburn, si renommée au siècle dernier, en ont fait une assez triste expérience. Vers la fin de la guerre d’Orient, les alliés dirigèrent contre cette place une de ces expéditions mixtes auxquelles nous croyons tant d’avenir. Kinburn était une fortification régulière, maçonnée, que l’on croyait capable d’une défense prolongée, et l’on se souvient qu’elle ne put tenir que quelques heures sous l’action combinée des forces de terre et de mer, sous l’écrasante concentration des feux d’une flotte, et surtout sous les coups de ces navires cuirassés dont on a fait là une première et favorable épreuve. On nous permettra d’ajouter qu’il n’est guère de contrée en Europe qui n’ait aujourd’hui son Kinburn, et qui n’ait à se défendre d’y placer trop de confiance.

Ici s’arrête la première partie de notre étude. L’expédition de Crimée vient de nous offrir des exemples aussi concluans que complets de ce qui peut être entrepris aujourd’hui par l’union des forces de terre et de mer. Il nous reste à en faire découler des conséquences qui, partout où l’on a une marine ou seulement un littoral, pourront donner matière à réflexion.


II.

Le fait principal que nous avons voulu mettre en lumière dans notre courte revue de la guerre de Crimée est la facilité avec laquelle une armée nombreuse a pu être embarquée, transportée au loin et jetée sur le sol ennemi. Soixante mille Anglais, Français et Turcs ont été installés à bord pendant une navigation de plus d’une semaine, c’est-à-dire pendant le temps que l’on emploierait aujourd’hui pour aller de Toulon à Alexandrie ou de Cherbourg dans la Baltique. La flotte qui les portait a navigué sans embarras, sans accident, et les a déposés sur les plages ennemies avec une promptitude, un ordre et une sûreté admirables. Ce qui a été fait là avec des flottes et des armées combinées de trois nations différentes, ce qui a réussi du premier coup, malgré tous les inconvéniens attachés au partage du commandement, pourra évidemment se renouveler quand on le voudra, avec d’autant plus de chances de succès que l’on agira avec une flotte et une armée homogènes, obéissant à une seule volonté, aidées de l’expérience du passé et pourvues de moyens d’action de plus en plus perfectionnés. Il y a là pour les nations qui, comme la France, disposent d’une force militaire et d’une force navale considérables, un immense avantage, et en même temps il y a