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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/784

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armée de débarquement telle que nous venons de la représenter est destinée à former désormais une sorte de cavalerie gigantesque montée sur des vaisseaux avec lesquels elle peut pendant une semaine faire cinquante lieues en vingt-quatre heures, douée de la faculté de se rendre invisible pendant sa marche, et destinée ainsi à tourner les empires, à les frapper sur les points les moins prévus, à assurer le succès des combinaisons stratégiques les plus extraordinaires, à répandre enfin la terreur et le désordre partout où l’ennemi n’aurait pas réuni toutes ses forces.

Nous n’avons pas tout dit lorsque nous avons montré comment nos flottes pourront coopérer avec nos armées en les transportant subitement, à la façon des génies des contes arabes, d’un point à un autre, en nettoyant les plages avec leur puissante artillerie, et en assurant par leur présence sur le littoral la plus solide peut-être de toutes les bases d’opérations. Il nous reste à signaler un autre genre de service qu’elles peuvent encore rendre, un autre important secours qu’elles peuvent prêter à nos troupes de terre. On n’a pas oublié la nouvelle et formidable apparition des canonnières à vapeur dans la Baltique il y a cinq ans. Leur rôle ne sera pas moindre sur les fleuves, et de la sorte le concours de la marine suivra l’armée jusqu’au cœur du pays ennemi. Des canonnières du même genre, construites à faible tirant d’eau et armées de grosse artillerie, remonteront très aisément les grands cours d’eau comme le Rhin, l’Elbe, la Vistule, le Pô, et à une heure donnée on les verra renouveler ce que firent à l’Alma les navires à vapeur dont le feu protégea la belle manœuvre du général Bosquet. Sur les fleuves, comme il y en a quelques-uns, dont le cours encaissé dans des digues serait plus élevé que le niveau des campagnes environnantes, une semblable flottille pourrait former de redoutables batteries. Rien de plus simple que de faire également remorquer par ces canonnières une partie des approvisionnemens de l’armée, que de leur donner à traîner de grands chalands propres à tous les transports et pouvant en même temps servir à former rapidement de larges ponts. L’expérience seule fera connaître les diverses ressources plus ou moins puissantes que cet auxiliaire nouveau pourra fournir dans le cours d’une campagne. C’est à peine s’il est possible de soupçonner aujourd’hui quelques-unes des mille combinaisons que produirait à la première occasion la marine de la France mise au service de ses armées. Plaise à Dieu que cette occasion se fasse longtemps attendre !

Il faut néanmoins sortir des généralités, et placer la France, avec son double moyen d’action guerrière, en face des adversaires que depuis soixante ans elle a pu rencontrer en Europe. Voyons dans