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de montagnes, plusieurs accidens de valeur secondaire ont pu servir de point d’arrêt dans l’existence des êtres. D’Orbigny croyait reconnaître la limite de deux étages sur beaucoup de points où l’on n’a pas encore indiqué des traces de grands bouleversemens; il s’était exercé à l’étude de ces accidens géologiques nommés failles, qui sont les résultats des oscillations du sol. Lorsqu’il voyait une lacune dans la superposition des étages, il en concluait que cette lacune correspondait à quelque interruption dans le dépôt des couches, et par conséquent à des dislocations. S’il trouvait intercalée dans la série des terrains une couche ravinée, déchirée, polie par le passage de cailloux roulés, il supposait qu’entre le dépôt de cette couche et de celle qui lui est superposée il y avait eu des afflux de courans violens explicables seulement par un bouleversement du sol, soit proche, soit très éloigné. La brusque succession d’un banc renfermant des coquilles ordinairement recueillies dans des mers très profondes à un banc qui semblait avoir été formé sur un rivage était pour lui l’indice d’une dislocation qui avait abaissé le sol sous-marin dans l’intervalle de la formation de ces deux bancs.

La paléontologie éclaire l’histoire ancienne non-seulement des êtres, mais encore du monde physique. Par exemple, la distribution des animaux fossiles nous fournit des notions assez précises sur la configuration des mers aux diverses époques géologiques. On sait que chaque zone marine a ses habitans particuliers : tels animaux vivent dans les mers profondes comme les térébratules et les bryozoaires; tels habitent les côtes comme les huîtres et les peignes; les agglomérations de coquilles roulées et de corps naturellement flottans indiquent la limite supérieure des flots. Appliquant ces remarques aux fossiles, d’Orbigny a séparé les formations marines des temps passés en « formations des mers profondes, formations côtières, formations littorales. » Ainsi à Luc, dans le Calvados, on voit des terrains pétris de térébratules et de bryozoaires; dans les Deux-Sèvres, contre la limite du plateau central de la France, on rencontre les mêmes terrains remplis d’ammonites, coquilles naturellement flottantes. Ceci n’a rien qui puisse nous surprendre, car nous savons que le plateau central de la France était déjà soulevé hors des flots lorsque le Calvados et les Deux-Sèvres étaient encore couverts par la mer. Or, dans les Deux-Sèvres, on est voisin de cette île ancienne; nous devions donc y trouver des coquilles littorales. Dans le Calvados, on est loin de cette île; nous devions y rencontrer les coquilles propres aux mers profondes. C’est un résultat bien admirable que d’arriver à dire non-seulement : pendant telle période du monde, telle contrée était un continent, telle autre était baignée par la mer; mais encore : tel point était un rivage, tel autre une mer profonde.