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rent par des trachées. Or, dans les plus anciens terrains, on voit des animaux appartenant à toutes ces catégories. D’Orbigny en conclut que, dès les premiers temps où la vie a paru dans le monde, l’atmosphère et les eaux devaient être très peu différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Il eût mieux fait peut-être de dire qu’elles ne pouvaient être complètement différentes, car des reptiles et des animaux voisins des scorpions peuvent sans doute respirer un air moins pur que les oiseaux et les mammifères, chez lesquels la consommation de l’oxygène est beaucoup plus considérable. Tant qu’on n’aura découvert ni mammifères ni oiseaux dans les anciens terrains, on pourra penser que l’atmosphère n’avait pas assez de pureté pour être propre à leur respiration, et déjà la végétation de la période houillère tend à faire croire que non-seulement l’air eut une humidité et une chaleur plus grandes qu’aujourd’hui, mais aussi qu’il renfermait des principes différens. Quelques physiciens affirment que l’atmosphère pendant la période houillère fut activée par un composé azoté autre que notre azote gazeux et beaucoup plus assimilable, peut-être de l’ammoniaque, peut-être des nitrates. Ce qui est certain, c’est qu’en supposant la végétation de la période houillère égale à celle des régions les plus fécondes du Nouveau-Monde, il faudrait admettre des temps incalculables pour la formation des bancs de houille. Mais qui pourrait sonder l’immensité des âges? La géologie est pour l’homme un enseignement non moins vaste que l’astronomie; cette science lui montre qu’il est à peine un point dans l’espace, celle-là qu’il est à peine un point dans le temps.

D’Orbigny ne s’est donc point borné à la simple description des êtres fossiles, il a tiré de cette étude d’importantes conséquences. En 1853, il fut chargé d’occuper une chaire de paléontologie fondée au Jardin des Plantes. Le savant professeur aimait à exposer les grandes questions théoriques de la paléontologie, et surtout il insistait sur ce fait qui domine tous ses travaux et qui en est le résumé : les temps géologiques se divisent en un grand nombre de périodes distinctes caractérisées par des êtres spéciaux qui sont nés avec ces périodes, qui sont morts avec elles. La paléontologie aux yeux de d’Orbigny était surtout une science historique : c’était le récit de chacune de ces périodes qui ont vu naître, se développer et mourir de nouvelles générations de plantes et d’animaux. Qu’emporté par le charme des découvertes il ait quelquefois été trop absolu dans l’exposé de l’histoire du vieux monde, c’est chose possible; mais on ne saurait douter qu’il n’ait eu une foi profonde dans ses doctrines : il croyait lire couramment dans l’histoire des êtres anciens. L’affirmation était le propre non-seulement de son style quand il écrivait,