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de ses paroles quand il professait au Muséum, mais encore de son esprit, alors qu’il était seul au milieu des produits de la nature. Si on compare la paléontologie d’aujourd’hui avec ce qu’elle était au temps de Cuvier et de Brongniart, ses premiers fondateurs, on verra quels immenses progrès elle a faits, et d’Orbigny, de l’aveu de tous, est un des hommes qui lui ont communiqué la plus forte impulsion.

S’il m’était permis de jeter un regard sur l’avenir de cette science, je dirais : Les découvertes des fossiles se sont déjà trop multipliées pour qu’un seul homme puisse en étudier tous les détails; les botanistes, les entomologistes, les conchyliologistes, les mammalogistes déterminent les fossiles qui sont l’objet spécial de leurs recherches. Chacun de ces naturalistes compare dans la sphère de ses travaux la nature passée avec la nature vivante. Etablis sur de plus larges bases, les principes que l’on formule acquièrent une nouvelle portée, et chaque branche de l’histoire naturelle s’agrandit. Là ne se borne point le rôle de la paléontologie; ainsi comprise, elle ne serait qu’un appendice ou un complément des diverses sciences naturelles. Sa destinée est plus élevée : elle doit former elle-même une science spéciale. Les paléontologistes proprement dits rassembleront les travaux des naturalistes ; ils classeront les matériaux non plus suivant les caractères des familles et des espèces, mais suivant les dates. Ayant ainsi sous leurs yeux l’ensemble du règne animal et du règne végétal aux divers âges du monde, ils pourront reconstruire sur des bases sûres l’histoire du temps passé. On développera toutes ces hautes questions que déjà d’Orbigny et d’autres savans naturalistes ont cherché à résoudre : Combien de fois les générations de plantes et d’animaux ont-elles été renouvelées? Qui a déterminé leur apparition? Quelle cause amena leur extinction? Que nous apprennent les fossiles sur l’état physique et chimique du monde ancien, sur la durée approximative des diverses périodes, sur la forme des continens et des mers pendant chacune de ces périodes?

La science des fossiles n’est point seulement féconde en grandes théories, elle est aussi une science d’application. Sans doute la stratigraphie, c’est-à-dire l’étude de la superposition des terrains, est la base principale sur laquelle on peut fonder la distinction des couches du globe; mais, sans la paléontologie, la stratigraphie est une lettre morte. Tant que les fossiles d’un étage sont inconnus, ou tant que l’on ne peut comparer cet étage avec un autre dont on connaît les fossiles, on chercherait vainement à établir la constitution géologique d’une contrée. Ainsi les terrains d’Italie nommés macignos et les roches métamorphiques des divers pays du monde ne furent point classés avant l’époque où des fossiles y furent découverts, avant celle du moins où il fut possible de fixer la relation de ces