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voyons en effet tout à coup, de 1760 à 1770, l’église et la papauté attaquées par les parlemens et par M. de Choiseul avec une résolution sans exemple jusqu’alors sous ce règne. Aussi se demande-t-on quel motif assez puissant a pu contraindre Louis XV à fermer les yeux sur une telle contradiction.

Le roi ne croyait les jésuites ni fauteurs de régicide ni corrupteurs de la jeunesse, malgré le texte des nombreux arrêts auxquels il consentit à donner sa sanction souveraine. Si ses jours étaient menacés, les aveux de Damiens lui avaient révélé où s’aiguisaient les poignards. S’il adhéra à des actes contre lesquels semblaient protester sa foi, sa douceur naturelle et l’esprit même de ses ancêtres, ce ne fut pas non plus, malgré une assez mauvaise plaisanterie, pour se donner le plaisir de voir le père Desmares en abbé; ce ne fut pas même pour venger Mme de Pompadour des courageuses résistances apportées par le père de Sacy à une absolution à laquelle elle se croyait un droit acquis depuis qu’elle avait échangé le rôle public de maîtresse du roi pour le rôle secret de pourvoyeuse : un motif plus sérieux le décida. Les mœurs de Louis XV avaient élevé entre le roi et son fils une barrière tellement insurmontable, que la froideur avait engendré la haine, et que les amis du dauphin semblaient transformés en ennemis naturels du monarque. S’irritant d’espérances dont un autre était le centre, le roi, sans rien appréhender à coup sûr pour ses jours des hommes groupés autour de son successeur, soupçonnait leur mépris et accusait jusqu’à leur silence. Si les jésuites furent abandonnés aux passions parlementaires et au bras séculier, c’est qu’avec plus d’éclat que de prudence ils se couvrirent de la protection de l’héritier du trône, et que l’opinion religieuse, en se groupant autour de ce prince, l’investit, comme malgré lui, d’une importance odieuse au roi. Frappés par la philosophie afin d’affaiblir le pape, ils furent sacrifiés par la royauté afin d’affaiblir le dauphin.

Les historiens du XVIIIe siècle n’ont pas, à mon avis, fait une part suffisante à ce sentiment-là, mobile décisif de la conduite de Louis XV. Durant tout le cours de son règne, sa méfiance envers l’héritier de sa couronne fut en effet aussi persistante qu’elle était certainement injuste. Mort à trente-six ans, le fils de Marie Leczinska, toujours en butte aux sévérités de son père et de l’opinion, traversa des épreuves que l’iniquité des partis a prolongées pour sa mémoire jusque dans la postérité. Pour quiconque observe les faits sans se préoccuper des jugemens contemporains, le père de Louis XVI avait, avec toutes les vertus de son malheureux fils, un caractère plus fort et un esprit plus ferme ; il unissait à un mérite solide et à une piété fort éclairée cet attrait personnel qu’inspirent