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En conseillant un tel acte à Louis XVI, le comte de Maurepas n’en soupçonnait pas les conséquences, si faciles à prévoir qu’elles pussent être. Persuadé que des arrêts ne tiendraient jamais contre des bons mots, et qu’un homme nourri comme lui dans le sérail ferait reprendre sans effort aux compagnies judiciaires les allures bruyamment inoffensives des temps de sa jeunesse, le ministre, qui se croyait aux jours du cardinal de Fleury, n’avait vu dans le rappel du parlement qu’un moyen de fermer pour jamais l’accès des affaires aux ministres du dernier roi. Ce rappel était le sceau mis à l’exil de ses rivaux et à celui de Mme Du Barry, enfermée dans l’abbaye de Pont-aux-Dames par une lettre de cachet plus cruelle pour ses pieuses hôtesses que pour l’ancienne favorite elle-même.

La grave mesure qu’avait conseillée à l’inexpérience d’un roi de vingt ans celle d’un ministre presque octogénaire avait reçu le plus étrange des commentaires par l’appel au ministère d’un homme illustre dont les idées étaient radicalement incompatibles avec celles des parlemens. L’on pourrait deviner, si l’on ne le savait d’ailleurs avec certitude, que Turgot, appelé au conseil de Louis XVI au mois d’août 1774, y fut l’antagoniste le plus ardent de la résolution du mois de novembre. Demander pour les réformes, même les plus modestes, projetées par cet économiste la sanction et l’enregistrement parlementaires, c’était ou lui ménager une déception personnelle, ou préparer à la royauté un conflit avec les cours souveraines, perspective dont, en les rappelant, elle semblait répudier jusqu’à la pensée. Il serait difficile de déterminer, d’après les actes accomplis par Turgot, ou même d’après ses écrits, l’ensemble des idées que l’ancien intendant de Limoges aspirait, au début de sa trop courte carrière ministérielle, à faire prévaloir dans le gouvernement de son pays. Pour Turgot comme pour Necker, la partie constitutionnelle des réformes demeurait obscure et voilée. Voulant opposer un frein à l’arbitraire, ni l’un ni l’autre ne paraissaient cependant avoir d’idées arrêtées sur le mécanisme des institutions politiques, étant ainsi tous deux beaucoup plus propres à prévenir une révolution par leur prudence qu’à l’accomplir par leur fermeté.

Turgot entrevoyait plus nettement l’urgente nécessité d’attribuer une large part aux influences locales dans le maniement des affaires publiques; il projetait une libérale reconstitution des corps municipaux, dont les droits et jusqu’à l’existence avaient été sous les deux derniers règnes l’occasion des plus scandaleux trafics; il aspirait enfin à compléter ce système par la création d’administrations provinciales pour toute la monarchie. Mais c’était sur des intérêts d’un ordre différent que le chef des économistes portait surtout l’ardeur de ses investigations et la courageuse passion de son esprit. Faire disparaître jusqu’à la dernière trace du régime féodal