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L’exploitation de l’or en Californie a traversé deux phases bien distinctes. La première, celle qui a eu le plus de retentissement, s’étend de 1848 à 1852. C’est une époque d’activité aventureuse, où l’on voit se manifester sans aucun frein les étranges mœurs des chercheurs d’or. Tout pour la force et par la force, cette devise aurait pu convenir aux mineurs des bords du Sacramento aussi bien qu’aux citoyens de San-Francisco; seulement, au lieu de comités de vigilance procédant à des épurations périodiques, la loi de Lynch fonctionnait en permanence. Les duels ou les rixes individuelles étaient remplacés par des combats en règle, où des troupes rivales se disputaient avec une fureur sanguinaire la possession d’un emplacement productif. En un mot, il n’existait sur toute l’étendue des terres exploitées nulle autorité, nul semblant d’organisation; seule la force brutale régnait souverainement, mais au moins l’exemplaire rapidité de ses châtimens avait-elle eu pour résultat de rendre les vols beaucoup moins fréquens qu’à San-Francisco. Les plaisirs rappelaient également ceux de la ville, avec une âpreté plus maladive encore : lorsqu’une heureuse rencontre avait gonflé son petit sac de peau de daim, le mineur demandait ses distractions à l’ivresse ou au jeu. L’ivresse lui était vendue aux prix les plus exorbitans[1] par les spéculateurs, qui s’abattaient sur les mines comme une bande de vautours; quant au jeu, c’était l’inévitable diversion qui couronnait une journée d’épuisement et de fatigues. Pendant cette première période, où une confuse agrégation d’individualités sauvages envahit les placers, il est assez difficile de savoir à quoi s’en tenir sur les grandes questions soulevées par l’exploitation des gîtes aurifères. Les résultats généraux peuvent être assez bien évalués, mais à quel prix étaient-ils obtenus? Là commence l’incertitude. D’une part, le mineur favorisé détaillait complaisamment ses trouvailles, en rappelant les nombreuses journées où son bénéfice s’était compté par centaines de dollars. De l’autre, le mineur malheureux n’avait rapporté des placers que le dégoût d’une existence à laquelle était loin de suffire un gain péniblement acheté; il n’en avait conservé que le souvenir de la misère, des privations et des maladies qui l’avaient mis aux portes du tombeau. On apprécierait donc imparfaitement cette première phase en ne la jugeant que d’après le récit des acteurs. Il faut chercher des données plus dignes de foi dans quelques pièces officielles, dont la plus curieuse est sans contredit un rapport de M. Mason, gouverneur de la Californie.

La visite de M. Mason aux mines eut lieu cinq mois environ après la découverte; bien que les travaux ne couvrissent encore qu’une

  1. On vit la bouteille d’eau-de-vie se vendre jusqu’à 250 francs.