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ne pouvait conserver longtemps les valeurs exorbitantes de 1850; le prix en baissait silencieusement, à l’insu des prêteurs éloignés, dont nulle défiance ne troublait la quiétude, si bien que, le jour où l’éveil fut donné, ce gage insuffisant ne représentait pas même le tiers des sommes qu’il garantissait. Comment décrire la débâcle qui s’ensuivit? Elle fut telle que la maison Page, Bacon et comp., réputée la plus riche de l’Union, ne put y résister, et le commerce californien en reçut un coup dont les conséquences se feront peut-être sentir longtemps encore, car ce fut le signal d’une retraite universelle pour les capitaux français, allemands, suisses, belges, etc., si mal récompensés d’être ainsi sortis des règles de prudence qui leur sont habituelles.

Là est l’une des principales causes du discrédit commercial de San-Francisco; là aussi est l’origine du temps d’arrêt qui, dans ces deux ou trois dernières années, a suspendu le développement de la Californie. Elle manque de capitaux en effet, bien qu’elle exporte chaque mois 25 millions de francs, et il est à craindre que cette singulière pénurie n’y ralentisse le progrès jusqu’au jour où lui sera revenue une confiance malheureusement toujours bien lente à renaître. Elle manque de capitaux, parce que l’or récolté sur les lieux n’y peut rester sous peine de paralysie de la communauté sociale, parce que la vie commerçante du pays repose sur cette exportation, et que ce métal ne se trouve là qu’à l’état de produit du sol plutôt qu’à l’état de signe représentatif des échanges. De là les taux ruineux auxquels les compagnies minières se voient forcées d’emprunter les sommes nécessaires à leurs travaux d’art; de là, par suite, une production inférieure à ce qu’elle pourrait être, et par suite aussi une consommation moindre, car ce sont toujours les deux termes du rapport. Ainsi se trouve enrayée du même coup la colonisation, tant agricole que minérale, de cette terre si riche de sa double fertilité.

Les Anglais établissent volontiers entre la Nouvelle-Hollande et la Californie une comparaison qu’ils présentent naturellement comme défavorable à cette dernière. Il est très vrai que la colonie anglaise offre un chiffre supérieur d’habitans, ce qu’explique la différence d’âge des deux pays; il est juste de constater également que la fièvre aurifère n’a pas donné à la société australienne le caractère, quelque peu barbare au début, des mœurs californiennes. La raison en est dans la forte organisation que les établissemens de la Grande-Bretagne reçoivent de la métropole, organisation que le caractère dangereux des convicts avait forcé à rendre ici plus complète encore. De plus, peu de nations savent aussi bien que les Anglais mettre à profit l’expérience des autres, et il est permis de penser que le spectacle de ce qui se passait de l’autre côté du Pacifique n’a pas peu contribué à faire éviter à l’Australie les