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la plus grande publicité avait présidé au recrutement des membres de l’expédition, mais il était aisé de prévoir que la tentative appréciée avec tant d’indulgence devait se renouveler plus d’une fois. L’Américain est manifestement préoccupé de s’étendre vers le Mexique; mais tandis qu’un progrès quelque peu important du côté de l’Atlantique serait nécessairement l’objet d’une surveillance soupçonneuse, au sud de la Californie au contraire nul ne se préoccupe des vastes territoires que s’adjuge incessamment l’Union. Hier elle achetait des centaines de milles carrés au gouvernement toujours besoigneux et imprévoyant de Mexico (the Gadsden purchase); demain elle s’annexera sans bruit une nouvelle zone de frontières, ou plutôt, pour employer les termes mêmes du dernier message présidentiel, « elle assumera un protectorat temporaire sur les parties septentrionales des états de Chihuahua et de Sonora, et y établira des postes militaires. » Qui pourrait se plaindre? Le Mexique? On ne veut que son bien. « Je ne doute pas, ajoute le message, que cette mesure ne soit regardée d’un œil amical par les gouvernemens et les populations de ces deux états, attendu qu’elle protégera leurs citoyens non moins efficacement que les nôtres. » Du Mexique sont jadis partis les missionnaires qui les premiers ont conquis la Californie : on peut dès ce moment prévoir qu’à son tour la Californie enverra quelque jour au Mexique des conquérans moins bien intentionnés.

Agrandissement territorial, colonisation, industrie, l’heureux Yankee a su tout réunir dans le nouveau pays qu’il s’est assimilé, et son rôle sera beau dans le magnifique avenir réservé à cet océan si peu fréquenté, si peu connu même il y a trente ans. Les nations riches et populeuses qui le bordent n’ont eu jusqu’ici de relations qu’avec l’Europe; mais le jour n’est pas loin où, affranchies en partie de cette tutelle, elles couvriront le Pacifique de flottes marchandes décuples de celles qu’on y voit aujourd’hui, et ce jour-là, devenus les deux centres maritimes de cette moitié du globe, San-Francisco et Sydney verront se réaliser un développement qu’ils ne peuvent encore que rêver. En attendant, ce qui n’est pas douteux, c’est que le commerce maritime des Américains a doublé depuis la découverte des placers de la Sierra-Nevada; ce qui est également certain, c’est que la richesse métallique du monde a augmenté de plus de moitié depuis la même époque. Peu de pays, il faut l’avouer, seraient en état de présenter d’aussi beaux titres de gloire pendant les dix années que nous venons de traverser.


ED. DU HAILLY.