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En Angleterre et en Amérique aussi bien qu’en France, on agglomère beaucoup de forces pour constituer n’importe quelle entreprise; on procède, comme chez nous, par la concentration des capitaux : ainsi l’exige la loi du bon marché ; mais quelle différence dans l’esprit de l’association elle-même! Autant nous recherchons l’appui de l’autorité, la protection, autant nos voisins la fuient: autant nous craignons d’engager notre responsabilité personnelle, autant ils l’ambitionnent : c’est leur point d’honneur et leur gloire que d’être ce qu’on appelle en nom dans les affaires. Pour nous, l’anonymie est une condition sine quâ non; aussi, tandis que les sociétés créées en Angleterre étaient, jusqu’à ces deux dernières années, toutes en nom collectif, nos plus grandes entreprises ne se constituaient que sous la forme anonyme.

Il est vrai qu’on a cru pouvoir arguer des différences du tempérament de nos rivaux et du nôtre pour justifier le caractère de nos grandes institutions financières. Sans doute chaque peuple a son génie particulier, et il arrive nécessairement que tout ce qu’il fait est marqué au coin de ce même génie; mais si cet esprit spécial a ses excès et ses dangers, doit-on lui obéir aveuglément? S’il est bien de se conformer aux mœurs publiques, il est mieux de les redresser, et d’améliorer l’avenir en corrigeant le présent. J’ai dit l’avenir, et c’est surtout en vue de l’avenir que des réserves ont été faites. Le mouvement économique qui nous entraîne, les préoccupations industrielles qui prédominent, peuvent et doivent laisser, à certains jours, le champ ouvert à des besoins d’un autre ordre, pour la satisfaction desquels il importe que les âmes conservent la faculté de l’effort et la puissance du libre arbitre, l’amour de la solidarité et de l’assistance. En se renfermant toutefois dans les questions économiques, n’est-ce point répéter une vérité banale, sanctionnée par l’exemple des peuples les plus avancés dans l’industrie, l’agriculture et le commerce, que de montrer l’initiative individuelle comme la source la plus féconde des progrès? Aussi à côté de grandes institutions, dont on peut dire qu’elles façonnent les mœurs industrielles d’après un système de domination et de privilège, il nous a paru, utile de mentionner des essais tentés dans un tout autre esprit, destinés à mettre, comme cela est nécessaire, le principal instrument du travail, le crédit, à la disposition de l’ouvrier, et à lui assurer le capital productif à trois conditions que la mutualité possède seule : — le bon marché, l’usage de la liberté personnelle, et la pratique de l’assistance ou de la garantie fraternelle.


BAILLEUX DE MARIZY.