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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/119

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livides et chancelans abritent assez mal des visages plus livides encore que les murailles, où l’on étouffe l’été, où l’on gèle l’hiver. Un voyageur raconte avoir couché, non loin de Drury-Lane, dans une chambre dont le plafond consistait en un toit d’ardoises qui, effeuillées par les coups de vent, laissaient entrevoir le ciel et compter les étoiles.

Le personnel qui fréquente ces logemens est très mêlé, mais il se recrute surtout parmi les industries errantes. Les hommes se groupent dans de tels établissemens en vertu de cette loi chimique : « les semblables se recherchent. » Ceux dont les mœurs et les occupations présentent pendant le jour sur la voie publique des traits d’analogie vivent ensemble sous le même toit pendant la nuit. Je n’affirmerai point que le chanteur de ballades, quoique relativement plus instruit que les autres individus de la classe nomade, choisisse toujours les common lodging-houses du meilleur caractère. Il loge un peu partout, et souvent dans les réduits les plus obscurs[1]. L’intérieur de ces maisons, excepté dans certains cas et dans certains quartiers, ne présente pas les scènes de tumulte auxquelles on pourrait croire que donne lieu une réunion d’individus si bruyans dans les rues et les carrefours. Le caractère dominant parmi les membres de cette confrérie errante est au contraire le silence. Les uns fument, d’autres sommeillent, d’autres encore préparent leur souper. Le chanteur de ballades lui-même se dépouille, en entrant dans ces logemens, de son caractère joyeux et de sa loquacité : cette joie était un masque. Tout le monde se presse contre la cheminée, car ce que ces hommes, exposés durant tout le jour aux intempéries de la rue, recherchent le plus, c’est la chaleur. L’expression taciturne des visages me frappa; mais je fus bien autrement étonné de trouver dans la plupart des lodging-houses que j’ai visités au moins un journal. Quelques-uns, parmi les meilleurs de ces établissemens, ont même des bibliothèques de quatre à cinq cents volumes. L’une des anciennes cuisines du farm-house a été transformée en un cabinet de lecture où l’on rencontre des journaux et des recueils périodiques. Chaque membre paie pour alimenter ce cabinet de lecture un penny par semaine, et comme l’ensemble de la souscription est plus que suffisant pour couvrir les frais, le reste de la somme est consacré à venir au secours des malades. Dans une des cuisines dont j’ai parlé,

  1. Il est à observer que le degré plus ou moins inférieur de ces maisons ne coïncide pas toujours avec le caractère ou la condition sociale de ceux qui les fréquentent. Des hommes qui ont reçu de l’éducation, qui ont occupé un certain rang dans le monde, mais que des revers de fortune ou une vie dissipée ont précipités dans la misère, hantent souvent les plus mauvais endroits : comme la pierre détachée de la montagne et qui ne s’arrête point dans sa chute, ils roulent volontiers au plus profond de l’abîme.