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un service religieux se célèbre le dimanche matin. Il y en a ainsi pour tous les goûts : les croyans se rendent au prêche, et les esprits forts se dirigent vers la salle de lecture.

La plupart des moralistes anglais considèrent et avec raison le plus grand nombre des low lodging-houses comme des écoles de vice et comme des antres d’immoralité. Quelques-uns d’entre eux ont même cru voir dans l’existence de ces maisons un obstacle invincible au développement et à l’amélioration des classes pauvres. L’entassement des individus dans des chambres privées d’air, la confusion des sexes, au moins dans les cuisines, les mauvais exemples et les mauvaises leçons exercent très certainement une influence pernicieuse sur la santé et sur le moral des voyageurs. On trouve pêle-mêle dans ces repaires de cohabitation nocturne des jeunes filles de quinze ans et des enfans séparés de leur famille. Supprimer ces maisons serait une mesure incompatible avec les notions des Anglais sur le droit de propriété et sur la liberté individuelle; il n’y faut point penser. Tout ce qu’on pourrait faire serait de leur opposer des refuges de nuit où le pauvre trouverait des avantages notables. La charité britannique est déjà entrée dans cette voie; mais il y a des obstacles à vaincre, et l’un de ces obstacles est la chaîne des habitudes. Le chanteur des rues, car c’est surtout lui que j’ai en vue, n’a point de plus mauvaises mœurs que ses confrères des autres industries errantes; mais il est porté à regarder comme une servitude la discipline nécessaire qui règne dans les model lodging-houses[1]. Le fond de son caractère est l’indépendance, et pourvu qu’il chante le jour, il sait toujours où aller coucher pendant la nuit, sans se soucier beaucoup, ainsi que certains oiseaux à beau ramage, de la nature du nid.

Du chanteur des rues au musicien proprement dit, il y a la différence qui existait autrefois entre les chanterres et les minstrels instrumentistes, lesquels, dit un auteur anglais, Strutt, représentaient

  1. Je me bornerai à citer une seule des institutions en faveur du pauvre sans feu ni lieu, houseless poor. Elle est située dans White-Cross Street. Les portes de l’établissement s’ouvrent durant la saison la plus inclémente de l’année à tous ceux qui n’ont point d’abri. On donne des billets de logement pour trois nuits aux habitans de Londres et pour sept nuits aux gens de la campagne. Soir et matin, on leur distribue une livre de pain. L’eau abonde pour les soins de toilette. Chaque lit se compose d’un matelas et d’une couverture. Il y a un médecin attaché à la maison et un chapelain qui officie le dimanche. Cette institution est soutenue par des contributions volontaires. Je me suis d’ailleurs assuré que le personnel flottant de cette maison de refuge appartenait en immense majorité à une classe d’ouvriers que différentes causes, mais surtout la stagnation des travaux, avaient privés d’un toit. Sur 6,092 individus, hommes et femmes, qui furent admis dans l’hiver de 1857, je ne crois pas qu’il y ait eu un seul vendeur de ballades des rues.