Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la représentation de Westminster qui embrassait Judy, ainsi que l’enfant, et qui sollicitait le vote de M. Punch. Lorsque le divorce bill, admis par la chambre des communes, était pendant devant la chambre des lords, j’ai entendu moi-même un joueur de marionnettes qui tirait parti des infortunes conjugales de Punch et de Judy pour appuyer la sanction de cette loi. Il y a deux ans, un certain mouvement se déclara dans l’opinion publique contre la peine de mort, et un autre puppet-showman mettait aussitôt dans la bouche de M. Punch, — lequel était partie intéressée dans la question, — quelques paroles en faveur de l’abolition du gibet, gallows. Le théâtre de Punch and Judy devient dans, ces occasions une tribune en plein vent; cependant il y a peu de joueurs de marionnettes, je dois le dire, qui s’élèvent jusqu’à la hauteur des intérêts publics. Dans sa vie de péripatéticien, le puppet-showman mange ce qu’il trouve et couche où il peut. Son moindre défaut est la prévoyance. Le plus souvent il limite ses courses à la ville où il demeure, je dirais volontiers où il perche; mais quelquefois un démon errant le pousse à travers la province et même par-delà les mers. On raconte que Bayle sortit plus d’une fois de sa studieuse retraite au son d’une trompette, qui annonçait de son temps l’arrivée d’un joueur de marionnettes anglaises à Rotterdam. Punch voyage : il y a quelques années, il trouva le chemin de Canton, et on l’a rencontré aussi sur le revers occidental des Andes.

Les autres showmen peuvent se diviser en deux classes : ceux qui s’établissent, du moins pour quelque temps, dans une ville, et ceux qui courent perpétuellement les foires ou les fêtes de campagne. Les premiers constituent l’aristocratie du métier; les seconds en forment la plèbe. Parmi les plus illustres figure au premier rang M. Barnum, qui s’est surnommé lui-même prince of humhugs[1]. Barnum n’est point Anglais, il est né dans l’état de Connecticut; mais il séjourne depuis quelques années en Angleterre, et il donne en ce moment à Londres, devant un auditoire nombreux et brillant, des leçons (lectures) sur l’art de gagner de l’argent, money making. Sous quelque aspect qu’on l’envisage, M. Barnum est certainement un type, et il mérite, à ce titre du moins, l’attention que lui prête depuis quelques années toute la presse britannique[2].

La Grande-Bretagne est la terre classique du puff. L’Américain Barnum devait y rencontrer des concurrens. Le grand art du showman, quand il a découvert quelque nouveauté vraie ou fausse, consiste à inventer une légende qui recommande sa marchandise à la

  1. Le prince de la blague ou des blagueurs.
  2. Voyez sur M. Barnum la Revue du 1er avril 1855.