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côté. Quand César, arrivé en Grèce, apprit que la flotte qui le suivait et portait son armée avait été dispersée et détruite par celle de Pompée, il se jeta seul la nuit dans un bateau de pêcheur pour aller chercher en Asie, à travers la mer, les légions d’Antoine, et revenir avec elles gagner la bataille de Pharsale. Quand Napoléon connut en Égypte l’état de la France, les hontes du directoire, l’agitation des partis, et que déjà plus d’un général songeait à un dix-huit brumaire, il n’hésita pas, et quelque folie qu’il y eut en apparence à tenter de traverser la flotte anglaise sur une faible embarcation, au risque d’être pris ou coulé à fond, il affronta tous ces dangers, et à force d’adresse et d’audace parvint à gagner les côtes de France. Condé fit de même, et sur la fin de mars 1652 il entreprit de se faire jour des bords de la Gironde aux bords de la Loire, sans autre escorte qu’un petit nombre d’amis intrépides, la vive conscience de la nécessité de cette démarche aventureuse, l’habitude et le goût secret du danger, son incomparable présence d’esprit et sa gaieté accoutumée.


II.

Il sortit d’Agen le dimanche des Rameaux, en plein midi, faisant annoncer qu’il s’en allait pour quelques jours à Bordeaux. Il était accompagné de six personnes, La Rochefoucauld et son jeune fils le prince de Marsillac, le comte de Guitaut, le comte de Chavagnac, Gourville, et un valet de chambre nommé Rochefort. Ils suivirent quelque temps la route de Bordeaux, puis, arrivés à un certain endroit, ils la quittèrent, s’engagèrent à travers les lignes ennemies, et commencèrent ce voyage extraordinaire qui dura plus de huit jours avec mille incidens périlleux de toute espèce et d’incroyables fatigues, toujours sur les mêmes chevaux, ne s’arrêtant jamais plus de deux heures pour manger et pour dormir, évitant les villes, passant les rivières comme ils pouvaient, se jetant d’abord dans les montagnes de l’Auvergne, puis en descendant, et par le Bec-d’Allier, se dirigeant du côté de la Loire. Il faut lire dans les mémoires de La Rochefoucauld et de Gourville[1] l’histoire de ce voyage et tous les dangers qu’ils coururent. Dix fois ils manquèrent d’être pris et tués. Leurs chevaux épuisés ne les portaient plus. La Rochefoucauld

  1. Nous ne citons pas les Mémoires de Chavagnac, qui ne sont pas authentiques, et ont été vraisemblablement composés sur des notes et des ouï-dires par Catien de Courtils, le spirituel et fécond auteur de tant de mémoires apocryphes et romanesques, tels que ceux du comte de Rochefort et la vie de Turenne, attribuée à Du Buisson. Indiquons encore les Particularités de la route de M. Le prince de Condé, et le sujet de son retardement, avec le passage des troupes du cardinal Mazarin, Paris, 1652, in-4o.