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était tourmenté par sa goutte, le jeune Marsillac tombait de sommeil. Condé seul était infatigable, dormant et s’éveillant à volonté, et toujours de bonne humeur.

Ils arrivèrent le samedi soir aux portes de La Charité. Là, Condé dépêcha Gourville à Paris pour avertir qu’il allait s’y rendre après avoir visité l’armée. Il ne savait où elle était, et tâcha de gagner Châtillon-sur-Loing pour en apprendre des nouvelles, et aussi pour se reposer au château, qui appartenait à la duchesse de Châtillon; mais la cour, qui était à Gien, avait eu vent de son voyage et savait la route qu’il avait suivie. On fit courir après lui vingt maîtres, comme on disait alors, c’est-à-dire vingt cavaliers bien montés et déterminés, avec ordre de le prendre mort ou vif. Condé n’échappa que par miracle; il avait envoyé son valet de chambre à Châtillon afin qu’on tînt la porte du parc ouverte. Guitaut et Chavagnac étaient en avant, à la découverte. Il n’avait avec lui que La Rochefoucauld et le jeune Marsillac ; celui-ci marchait cent pas devant le prince, et La Rochefoucauld allait après lui à la même distance, afin qu’en cas de malheur, averti par l’un ou par l’autre, il pût avoir le temps de se sauver. Ils n’avaient pas fait ainsi quelque chemin qu’ils virent paraître quatre cavaliers qui marchaient vers eux. Ils crurent que c’étaient les gens qui les cherchaient et se préparaient à les charger, résolus à se faire tuer plutôt qu’à se laisser prendre; mais c’étaient Guitaut et Chavagnac avec deux gentilshommes de leur connaissance. A Châtillon, Condé apprit que l’armée était à huit lieues de là; il y courut en toute hâte, et rencontra les avant-postes le 1er avril 1652.

Il trouva l’armée de la fronde aussi divisée que ses chefs. Il en prit sur-le-champ le commandement, ôtant ainsi la principale cause des jalousies de Nemours et de Beaufort; il la réunit, la fit reposer un jour, s’empara sans coup férir de Montargis et de Château-Renard, et se porta rapidement sur l’armée royale. Elle était dispersée dans des quartiers éloignés les uns des autres pour la commodité des fourrages, et à cause du peu de crainte qu’inspiraient Beaufort et Nemours. Le maréchal d’Hocquincourt était campé à Bleneau, et Turenne un peu plus loin, à Briare. Les deux maréchaux devaient réunir leurs troupes le lendemain. Condé ne leur en laissa pas le temps; le soir même, dans la nuit du au 7 avril 1652, il tomba sur le premier quartier du maréchal d’Hocquincourt, le culbuta, et parvint à faire plier tous les autres grâce à une de ces charges de flanc où il payait énergiquement de sa personne. D’Hocquincourt, après s’être battu en soldat, fut contraint de céder et de se retirer à quelques lieues du côté d’Auxerre, ayant perdu tout son bagage et trois mille chevaux. Cependant on était venu dire à Turenne ce qui