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près à tous les partis, sans se piquer de fidélité envers aucun d’eux. En même temps qu’il avait traité avec la fronde, le duc d’Orléans et Condé, il avait négocié aussi avec la cour, faisant son compte de se tirer d’affaire et de gagner son argent au moyen de quelques démonstrations, mais bien décidé à ne pas compromettre sa petite armée, sa suprême ressource. Quand donc il vit venir à lui Turenne, il crut pouvoir l’amuser avec ses artifices accoutumés, en lui représentant qu’il était un ami et un allié du roi de France. Turenne, n’entendant rien à toutes ces façons, lui déclara nettement qu’il allait le charger sur l’heure, s’il ne décampait et ne se retirait en Flandre. Le duc, qui n’en était pas à son coup d’essai en ce genre, prit bien vite son parti, et sauva ses troupes aux dépens de sa parole. Les Lorrains sortirent de leurs retranchemens, défilèrent devant l’armée royale en bataille, regagnèrent la frontière, et Charles IV, qui assaisonnait ses fourberies de badinages et de railleries, prétendit qu’il était parfaitement quitte avec l’Espagne et avec son beau-frère, puisqu’ayant été appelé au secours d’Étampes il en avait fait lever le siège. À cette nouvelle Madame, qui était de bonne foi, versa des larmes de honte et d’indignation, et le duc d’Orléans ne put faire moins que d’avoir l’air de partager les sentimens de sa femme. Condé, trahi de tous côtés, put enfin reconnaître quelle faute il avait faite de quitter l’armée pour venir se perdre en intrigues impuissantes, et d’avoir préféré les conseils vulgaires d’une maîtresse telle que Mme de Châtillon à ceux d’une sœur courageuse et dévouée telle que Mme de Longueville. Vers la fin de juin, il monta à cheval avec un petit nombre d’amis intrépides, et sortit de Paris pour tenter une dernière fois le sort des armes.

Il n’était plus temps. Le maréchal de La Ferté-Senneterre avait amené de Lorraine de puissans renforts à l’armée royale, qui comptait ainsi de dix à douze mille hommes. Celle de la fronde en avait à peine la moitié; elle était découragée, divisée, incapable de livrer une bataille, et elle ne tint quelques jours la campagne autour de Paris que grâce aux habiles manœuvres et à l’énergie partout présente de son chef. Il était évident qu’il ne restait à Condé d’autre alternative que de traiter avec la cour à tout prix, ou de se jeter entre les bras de l’Espagne, et le fameux combat de Saint-Antoine, sérieusement considéré, n’est qu’un acte de désespoir, une héroïque et vaine protestation du courage contre la fortune : le succès ne remédiait à rien, et on devait s’attendre à une défaite où Condé pouvait laisser sa gloire et sa vie. Ce n’était pas une moindre faute à Turenne de risquer un combat contre un tel adversaire sans disposer de toutes ses forces, et en ce moment La Ferté-Senneterre était encore avec l’artillerie devant la barrière Saint-Denis. Réunis,