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après avoir trouvé que la carpe et la tanche n’étaient pas un déjeuner convenable pour sa seigneurie, se trouve trop heureux à la fin de rencontrer un colimaçon.

Si l’on veut rencontrer le drame contemporain, ce n’est donc pas au théâtre qui s’intitule fièrement le Théâtre-Français qu’il faut aller le chercher. Pas un seul des grands succès dramatiques des dernières années ne s’est produit sur la scène de la rue Richelieu. Les drames et les comédies de M. Dumas fils, les Faux Bonshommes, Dalila, ont fait leur apparition sur les scènes du Gymnase et du Vaudeville. M. Ponsard et M. Augier, qu’on aurait pu croire cependant les poètes assermentés du Théâtre-Français, ont obtenu à l’Odéon leurs meilleurs succès. Inexplicable à tous égards est la conduite du Théâtre-Français. S’il a tant de dédain pour les nouveaux poètes et pour les nouveaux dramaturges, il ferait mieux de prononcer un ostracisme absolu que de s’obstiner dans la ligne de conduite qu’il suit depuis quelques années. Il veut et ne veut pas, il accueille et il repousse. Est-ce coquetterie de sa part, est-ce diplomatie? Si c’est coquetterie, elle lui a mal réussi, car il lui est arrivé ce qui arrive généralement aux coquettes, d’être abandonnées de leurs courtisans et de leurs adorateurs. Si c’est diplomatie, elle lui a moins réussi encore, car il n’est généralement pas heureux dans ses rapports avec les auteurs nouveaux. Toutes les fois qu’il consent à représenter une de leurs pièces, c’est presque toujours une œuvre inférieure à tout ce qu’ils ont fait, une erreur de leur talent. II s’empresse de représenter le Joueur de Flûte de M. Augier, mais il laisse aller la Jeunesse à l’Odéon et le Gendre de M. Poirier au Gymnase. S’il s’adresse à M. Octave Feuillet, ce n’est pas, soyez-en sûr, pour produire Dalila sur la scène. Si on lui avait parlé des Faux Bonshommes, il se serait voilé d’un crêpe ; cependant quelques mois auparavant il avait accepté de M. Théodore Barrière une rapsodie dramatique tirée d’un roman célèbre, le Lys dans la Vallée. Il semble que ce théâtre ait un goût particulier pour les œuvres médiocres, goût que depuis quelques années il satisfait à cœur-joie, et sans aucun souci de l’opinion publique.

Bref la situation du Théâtre-Français manque de netteté et de franchise. Il est temps qu’il dise enfin ce qu’il veut et ce qu’il prétend être, en un mot qu’il adopte un parti. S’il ne renonce pas à la littérature contemporaine, qu’il prenne donc à l’avenir ses mesures, et qu’il ne se résigne plus à accepter les productions inférieures de cette littérature. S’il y renonce au contraire, eh bien! qu’il y renonce tout à fait; qu’il se renferme dans son rôle de gardien des grandes traditions littéraires et d’interprète des chefs-d’œuvre de l’art français; mais, pour Dieu! qu’il tienne alors ses portes bien fermées, et