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ner que peu de chose en échange; il y a tant d’autres à qui je demande sans leur rien donner. Dix fois, vingt fois depuis deux longs actes que vous m’invectivez à tort et à travers, je vous ai fait comprendre, avec tous les ménagemens possibles, que votre place n’était plus auprès de moi. Est-ce donc moi qui ai manqué de cœur lorsque je vous ai rappelé que vous négligiez votre travail, que vous négligiez vos amis, que vous abandonniez votre mère? Ai-je manqué de cœur le jour où je vous ai averti que votre présence chez moi pourrait vous attirer un affront que vous avez dû accepter pour n’avoir pas voulu suivre mon conseil? Est-ce moi qui ai manqué de cœur, lorsque, poussée à bout par vos violences intempestives et vos inqualifiables provocations, j’ai dû vous renier publiquement? Je suis cruelle, dites-vous; mais que vaut-il mieux à votre avis? Être cruelle comme moi, ou lâche comme vous! Vous êtes peut-être un grand artiste, mon cher Raphaël, mais un grand sot certainement. » Ce discours est le résumé fidèle du caractère et de la conduite de Mlle Marco, qui pendant tout le drame se montre infiniment plus sensible, plus intelligente et à tout prendre plus morale que ses accusateurs. S’il ressort un enseignement du drame des Filles de Marbre, c’est à coup sûr que la morale à contre-temps est la pire de toutes les morales, et frise de bien près l’immoralité.

La nature toute spontanée de M. Barrière manque du contre-poids des facultés réfléchies. Par là s’expliquent et ses colères intempestives et les irrégularités de son talent. Lorsque le tempérament parle en lui et que la spontanéité lui vient en aide, il trouve des mouvemens d’éloquence sauvage, ou des mots amers et sanglans; mais lorsqu’il est de sang-froid et que le secours momentané que donnent ces mouvemens de l’âme lui fait défaut, alors il tombe affaissé sur lui-même et se traîne péniblement. Il paie ces rapides minutes de fièvre brûlante par une prostration de plusieurs scènes quand elle n’est pas de plusieurs actes. Ce qu’il est en bien, en mal, il le doit entièrement à sa nature; les ressources de l’art lui manquent absolument. Il ne sait ni combiner, ni composer, ni présenter ses sujets. Ses drames nous ramènent à l’enfance de l’art, et font penser involontairement aux peintures chinoises et aux sculptures assyriennes. Pas de perspective, pas de distribution d’ombres et de lumières; tous les personnages semblent superposés les uns aux autres et mis sur le même plan. Il ne conçoit pas un drame, il conçoit une situation, de sorte que le drame est vide d’intérêt tant que la situation n’a pas été amenée, et qu’il est terminé aussitôt qu’elle s’est présentée, fût-ce même dès la première scène. Dans Cendrillon par exemple, l’exposition dure trois longs actes, et il est évident que le drame a été écrit pour la scène capitale du cin-