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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/247

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Quel malheur que cette grande voix n’ait point été écoutée, et qu’après avoir été impuissante à prévenir les malheurs qu’elle annonçait, il ne nous soit plus possible de l’invoquer que pour préparer un meilleur avenir. e. forcade.



ESSAIS ET NOTICES.
UNE CORRESPONDANCE INÉDITE DE LAVATER[1].

Il n’y a pas encore cent ans, la plus riante partie du département du Doubs était entre des mains allemandes. Le duc Frédéric-Eugène de Wurtemberg tenait une cour à Montbéliard. Destiné à l’état ecclésiastique, ce prince avait été tonsuré et pourvu d’un canonicat à Constance avant de se distinguer dans la guerre de sept ans. La bravoure qu’il y déploya sous les yeux du grand Frédéric lui valut la main de sa nièce, la princesse Frédérique-Dorothée-Sophie de Brandebourg-Schwedt, qui lui donna cinq fils et trois filles. L’aînée de celle-ci, la princesse Dorothée, était merveilleusement douée sous le triple rapport de l’esprit, du cœur et de la beauté. Elle était sur le point en 1776 d’épouser une de ces altesses germaniques qui peuvent embrasser des yeux leur principauté tout entière, lorsqu’arriva au château de Montbéliard un courrier qui y causa un étrange émoi. Catherine, la grande Catherine, sollicitait la main de la princesse Dorothée pour son fils, autocrate futur du plus vaste empire du monde. Dès le lendemain, la jeune princesse fut conduite à Berlin, où se trouvait le grand-duc Paul, et deux mois plus tard ce mariage inespéré fut conclu à Saint-Pétersbourg. En 1780, le grand-duc Paul obtint de sa mère l’autorisation de parcourir l’Europe avec sa femme. On sait de quelle bienveillante façon le comte et la comtesse du Nord furent accueillis par la cour et la société françaises. Avant d’entrer en France, les illustres touristes étaient restés quelque temps en Suisse. La comtesse du Nord avait voulu connaître Lavater, et cet homme remarquable avait produit sur elle une impression si profonde que ce fut au pasteur de Zurich qu’elle s’adressa lorsque, bien des années plus tard, impératrice de Russie, elle s’aperçut que sur le trône plus encore que dans toute autre condition tout n’est que Vanité. Quelle était donc sa préoccupation ? Elle désirait savoir ce que deviendrait un jour son âme ; elle voulait être certaine de son immortalité.

Les lettres de l’impératrice à Lavater sont malheureusement inconnues, mais celles de ce dernier viennent d’être découvertes parmi les papiers du grand-duc Constantin. M. le baron de Korf, dont le nom, lié à l’histoire moderne de Russie, n’est pas étranger au public français[2], les a soigneuse-

  1. Saint-Pétersbourg, 1858.
  2. Membre du conseil de l’empire et directeur de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, M. le baron de Korf a publié l’an dernier une curieuse relation de l’Avènement au trône de l’empereur Nicolas et un grand nombre de travaux littéraires qui le placent au premier rang des bibliophiles les plus éclairés.