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ment rassemblées. Lavater s’y entretient librement et sans gêne avec l’impératrice; il ne l’appelle pas majesté, ce titre lui paraît peu en harmonie avec le sujet qu’elle lui demande de traiter, à savoir : l’état des âmes après la mort. Quel est cet état? Le savant et le philosophe n’osent se prononcer, mais le disciple du Christ en sait assez pour se maintenir intrépide et calme. Le savant convient que l’âme, séparée du corps matériel, doit apercevoir et sentir d’une manière toute différente. Pendant notre vie, nous sommes semblables à des enfans dans le sein de leurs mères : nous respirons, mais notre souffle est incomplet; nous sommes liés par la matière; nos sens, nos organes déterminent la manière d’apercevoir et de sentir de notre âme; celle-ci, séparée du corps, sentira le monde physique s’évanouir comme il disparaît dans le sommeil, ou, pour mieux dire, le monde physique se montrera alors tout autre. Le savant a l’instinct de cette spiritualité future, mais le plus souvent il s’arrête à cette idée. Plus heureux que lui, le chrétien est certain que l’état de l’âme après la mort repose sur cet immuable principe : l’homme récoltera ce qu’il aura semé, et il agit en conséquence.

À ce décret divin Lavater ajoute la loi générale de la nature, qui veut que le semblable se joigne au semblable, — que tout ce qui est semblable s’attire, et selon lui, toute la doctrine de l’état de l’âme après la mort est fondée sur ce double critérium. Dès qu’elle ne sera plus liée par la nature, dit-il, l’âme sera invitée par un irrésistible penchant à s’approcher de tout ce qui lui est semblable, à s’éloigner de tout ce qui ne lui ressemble pas. Elle sera entraînée vers d’horribles abîmes, ou bien, pareille à l’étincelle que la légèreté de son essence emporte dans les airs; elle montera vers des régions éthérées et libres de toute oppression. L’âme se donne à elle-même son propre poids ; sa valeur ou ses défauts la poussent en haut ou en bas, suivant une direction immuable. Si pendant son emprisonnement dans le corps les passions de l’esprit ont été nobles et légitimes, sa félicité consistera à rencontrer ce qui pourra les contenter ; si elles n’ont été que matérielles, son supplice sera de ne trouver absolument rien dans l’autre monde de matériel. Examinez vos passions, dit hardiment notre professeur à son auguste élève, appelez-les par leurs noms. Demandez-vous : Sont-elles possibles dans un monde moins matériel? Y trouveront-elles leur contentement? Et selon la réponse que votre conscience vous fera, soyez paisible ou inquiète. Notre première passion est-elle la passion de Dieu? notre tendance consiste-t-elle à s’approcher du père invisible des esprits ? S’il en est ainsi, nous ne devons pas trembler pour notre état futur, nous ne devons pas redouter le moment où tombera le voile qui couvre Dieu; mais d’autre part, de même que l’œil faible et malade ne peut fixer le soleil, l’esprit impur, entouré du brouillard dont une vie entièrement matérielle l’enveloppait encore au moment de sa séparation, ne pourra contempler le Seigneur dans l’éclat et le rayonnement qui pénètre les bienheureux du sentiment de son éternité.

Fidèles à la méthode germanique, les argumens de Lavater sont subtils, vaporeux, malaisés à transporter dans un autre idiome ; mais lorsqu’on a la patience d’en suivre le fil, on est forcé de convenir qu’ils sont logiques et qu’ils renferment plus d’une vérité. Il multiplie les comparaisons pour rendre sa thèse plus saisissable, il l’entoure continuellement d’images; il se tait souvent et laisse la parole à des âmes qu’il fait revenir tout exprès de l’autre