Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bas de ses jambes, de grands éperons d’acier pendaient à ses talons. L’inconnu cachait son visage sous les plis d’un mouchoir de soie qui ne laissait voir que ses yeux et ses moustaches.

— Qui êtes-vous ? demanda le guapo d’un ton d’autorité ; votre nom, votre profession ?

— Je me nomme Henri Normandin, docteur-médecin de la Faculté de Paris, embarqué à bord du trois-mâts français le Méridien.

— D’où venez-vous, s’il vous plaît ?

— D’une promenade d’herborisation dans la campagne, répliqua le docteur, de plus en plus intrigué. Je n’ai sur moi d’autre trésor que des plantes, assez rares à la vérité, mais qui n’ont aucune valeur pour vous, mon ami.

Amigo, poursuivit l’inconnu en riant aux éclats, gardez votre trésor… Je n’en veux ni à votre bourse ni à votre montre, dont vous laissez imprudemment flotter la chaîne et pendre les breloques. Rassurez-vous, monsieur le docteur, et touchez là, je vous prie.

Le docteur serra la main que lui tendait le guapo ; elle était douce comme celle d’un raballcro habitué à porter des gants. — À qui ai-je l’honneur de parler ? demanda le médecin, un peu remis de son premier mouvement de frayeur.

— Votre promenade d’herborisation vous a conduit sur les terres de don Ignacio Moreno, reprit l’inconnu ; vous avez pénétré dans sa maison, qui ne s’ouvre à personne depuis longtemps. Vous y avez peut-être entendu parler de don Agustin el Godo ?

— Don Ignacio m’a entretenu de sa fille…

— Je ne vous demande pas ce qu’il a dit de don Agustin, mais seulement s’il l’a nommé devant vous. Agustin el Godo, c’est moi, monsieur ; vous comprenez maintenant si je suis désireux d’apprendre des nouvelles de doña Mercedès.

— Voilà qui passe toutes les bornes de l’indiscrétion ; je n’ai de compte à rendre à personne, répliqua vivement le docteur. Laissez-moi poursuivre ma route, sinon…

Parlant ainsi, il tirait des fontes de sa selle un long pistolet d’arçon.

— Vous avez des armes et je n’en ai pas, reprit don Agustin ; je vous adresse une simple question, et vous me menacez ! Vous avez eu peur sans raison, et maintenant que vous êtes assuré de n’avoir rien à craindre, vous me montrez le canon d’un pistolet !… Eh ! mon Dieu, je ne vous empêche pas de poursuivre votre route. Continuons de marcher, si vous voulez bien, et veuillez m’écouter. Depuis bien des mois, je suis sans nouvelles de doña Mercedès ; vous venez de la voir, et j’insiste près de vous pour savoir ce que vous pensez de son état. Est-ce donc là commettre une grande indiscrétion ?