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tée. Don Ignacio a été si vivement affecté que j’ai craint pour lui une congestion cérébrale. Il est tombé sans connaissance sur un fauteuil ; son visage était pourpre, il tremblait dans tous ses membres ; je me reprochais de lui avoir remis cette lettre fatale.

— Je ne puis pourtant me reprocher de l’avoir écrite, dit don Ramon avec vivacité ; en le faisant, j’accomplissais un devoir. Pour lui obéir, j’ai couru étourdiment provoquer ce brave caballero que voici ; j’ai risqué ma vie par déférence à ses volontés !… Don Ignacio serait mon père, qu’il n’aurait pas le droit d’exiger davantage. Adieu, monsieur, j’espère que le temps calmera l’irritation de mon oncle, et que sa porte s’ouvrira un jour pour me recevoir ainsi que ma femme ; mais vous, monsieur, soyez assuré de la reconnaissance que je vous porte, et recevez mes excuses pour la légèreté avec laquelle je vous ai chargé d’une mission délicate.

— Et sa fille, parlez-moi de sa fille, dit don Agustin lorsque son ami eut pris congé du docteur.

— Laquelle ? répliqua celui-ci d’un air distrait… Ah ! oui, doña Mercedès ; peu vous importe l’autre ! Que Luisa pourtant a été charmante dans ces momens difficiles ! Il y a des hommes énergiques, fiers, sûrs d’eux-mêmes, qui n’ont d’admiration que pour la beauté ; ils recherchent dans le monde les astres qui brillent, comme l’aigle est attiré par le soleil. Vous êtes de ceux-là, don Agustin. Je ne connaissais encore que le son de votre voix, il faisait bien nuit, vous vous rappelez, quand nous nous sommes rencontrés l’autre soir. Maintenant que je vous vois à la clarté du jour, je comprends qu’il y ait entre Mercedès et vous une affinité secrète… Mes réflexions vous font perdre patience ? Eh bien ! j’arrive au fait. Doña Mercedès va mieux, je vous l’ai dit : elle s’est relevée du même coup qui a abattu son père. La défaite de l’un semblait être la victoire de l’autre. N’allez pas croire cependant que don Ignacio ait capitulé : plus que jamais il se renfermera dans le silence, comme dans les derniers retranchemens de sa dignité offensée. La réflexion, le temps surtout pourra modifier ses dispositions.

— Le temps ! interrompit don Agustin, le temps !… Mais il y a plus de trois mois que je n’ai vu doña Mercedès, même de loin !

— Le temps guérit plus de maux que la médecine, reprit le docteur. Résignez-vous, faites comme doña Mercedès. Quand la vérité a brillé à ses yeux, quand elle a compris que don Ramon, en se mariant, laissait son père isolé et sans appui contre d’autres prétentions, elle n’a point fait éclater sa joie. À peine échappée aux angoisses qui l’oppressaient, elle a eu pitié des douleurs de son père.

— Noble cœur ! s’écria don Agustin.

— Elle a compris que ces douleurs méritaient d’être respectées,