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et que bien des nuages allaient obscurcir son horizon pour longtemps peut-être. Tout en sortant de sa torpeur et de sa mélancolie, elle semblait rêver encore et ne pas croire à un réveil complet. Les choses n’ont donc pas beaucoup changé de face, don Agustin ; le jour s’est fait : on sait maintenant que vous n’êtes morts ni l’un ni l’autre, et que vous avez été à peine blessés. C’est quelque chose ; mais moins que jamais don Ignacio permettra à qui que ce soit de prononcer devant lui le nom du Godo, et cette maison qui renferme toutes vos espérances restera close pour vous.

— Vous avez dit là une dure parole, docteur, répliqua don Agustin. Vous voyez les choses en noir !… Moi, je persiste à croire que la journée d’hier n’a pas été mauvaise. Je reviendrai vous voir ; vous le permettez, n’est-ce pas ? Si je ne vous avais pas ici pour me donner des nouvelles de Mercedès, peut-être me risquerais-je à en aller chercher moi-même.

— De la patience, don Agustin, de la patience ; ne brusquez rien. Il y aurait de la cruauté à braver chez lui don Ignacio malade, attristé…

— Dites plutôt de la lâcheté, interrompit don Agustin, et Mercedès ne me le pardonnerait jamais.

Habitué à la discrétion, le docteur n’avait point parlé de la tante Mariana, qui semblait disposée à favoriser les projets de don Agustin. Il craignait que celui-ci, encouragé dans ses espérances, ne tentât quelque folle équipée. Le même sentiment de délicatesse lui interdisait de faire connaître à doña Mercedès qu’il était devenu le confident de don Agustin. Entre ces deux jeunes gens, attirés l’un vers l’autre par une sympathie passionnée, s’interposait toujours la volonté paternelle. Don Ignacio considérait le mariage de son neveu comme une trahison ; il était en proie à une irritation extrême. La tante Mariana essayait parfois de lui faire entendre raison. — Don Ignacio, disait-elle, vous vous rendez malade à plaisir, et vous causerez le malheur de votre fille !… N’y a-t-il donc aucun moyen de s’entendre ?

Le père secouait la tête et ne répondait rien.

— En persistant dans cette résistance, reprenait la tante Mariana, vous faites deux malheureux, et vous vous condamnez à voir souffrir votre fille sous vos yeux. En sacrifiant vos antipathies, vos répugnances, vous ramèneriez la joie sous votre toit, et vous renaîtriez vous-même à la santé. Une parole suffirait à changer en bonheur ces tristesses, et vous ne la prononceriez pas !…

Don Ignacio, haussant les épaules avec dédain, allait lentement s’asseoir près de la fenêtre pour respirer l’air frais du dehors, et passait sa main sur son front brûlant. Rebutée du côté du père, la pauvre tante Mariana allait trouver la belle Mercedès, et, lui jetant